" Tout est subjectif, tout est relatif ", telle est la conclusion qui semble ressortir du premier chapitre. Pourtant, les succès remportés par la science et la technologie (cf. les ordinateurs, les centrales nucléaires, les lasers, le génie génétique, etc.) ne sont-ils pas la preuve que dans ce domaine au moins règne une certaine objectivité ? Comme vous vous en doutez, les choses sont moins simples qu'il n'y paraît.
Pour comprendre pourquoi la science ne permet pas d'acquérir des connaissances certaines sur le monde, il faut nous plonger dans ses racines, si profondes aujourd'hui qu'elles en sont presque devenues invisibles. La première de ces racines est l'outil même de connaissance, la méthode scientifique proprement dite, censée débarrasser les jugements de toute trace de subjectivité. La seconde est le Modèle du Monde sous-jacent à toutes les théories scientifiques, le modèle de la machine, censé être le principe organisateur de toute la réalité. Bien sûr, cette critique épistémologique ne lui fera perdre en rien son efficacité. Il s'agit juste de comprendre les acquis et les limites de cette science, pour être en mesure ensuite de la reconstruire sur des bases encore plus solides.
Le tournant décisif dans le développement de la science moderne se situe au début du 17ème siècle, avec notamment des hommes comme Galilée (1564-1642) et Descartes (1596-1650). Leurs réflexions et leurs expériences ont donné naissance à la science que nous connaissons aujourd'hui. De cette élaboration quelque peu mouvementée, nous ne retiendrons que quatre temps forts.
Premier temps. Le point de départ de leur démarche est que tout ce qui relève de la perception sensorielle et du sentiment est frappé du sceau de la subjectivité. Galilée constate par exemple : "Les goûts, odeurs, couleurs, etc. attachés à l'objet dans lequel ils paraissent exister ne sont que des mots et n'ont d'existence que dans les corps sensibles, de sorte que si l'animal disparaît, chacune de ces qualités se trouve abolie, annihilée ".
Deuxième temps. Il existe quand même un domaine où les vérités ne peuvent être mises en doute, c'est celui des mathématiques. Partout dans l'univers un et un font deux, et la circonférence d'un cercle est égale au produit de son diamètre par la constante pi.
Troisième temps. Puisque tout est douteux sauf les mathématiques, la science doit se construire sur elles. Voici ce que dit Galilée à ce propos : " Le livre (de l'univers) est écrit dans le langage des mathématiques dont les symboles sont les triangles, cercles, et autres figures géométriques sans l'aide desquels il est humainement impossible d'en comprendre le moindre mot " (Il saggiotore). C'est bien sûr Descartes qui pousse le raisonnement à l'extrême, lui qui à l'âge de 24 ans fait le rêve d'une science merveilleuse toute entière fondée sur les mathématiques.
Quatrième temps. Pour atteindre cet objectif, il faut une méthode nouvelle. C'est l'expérimentation, grâce à laquelle sont éliminées toutes les caractéristiques non susceptibles de mathématisation, comme les sentiments et les significations, pour ne retenir que ce qui est quantifiable et mesurable, comme la position, la vitesse, la dimension, la masse, etc. Deux siècles plus tard, Claude Bernard, dans son Introduction à la médecine expérimentale, précise : " L'observateur doit être le photographe des phénomènes. Son observation doit représenter exactement la nature. Il faut observer sans idée préconçue. L'esprit de l'observateur doit être passif, c'est-à-dire se taire. Il écoute la nature et écrit sous sa dictée ". Pour être complet, il convient d'ajouter l'idée de reproductibilité, car c'est de l'observation répétée d'un même phénomène que peut être déduite une loi formulée en termes mathématiques ayant portée universelle.
Et voilà, le tour est joué, depuis le 17ème siècle, toute la science fonctionne sur ces bases. De là ses innombrables et indéniables succès. De là aussi ses limites, car à trop vouloir réduire les phénomènes, on les appauvrit. Pour ne prendre qu'un seul exemple, la science est incapable de dire ce que sont la pensée et la conscience, phénomènes pourtant excessivement courants puisque chacun en fait l'expérience ! Il y a à ces limites des raisons très profondes. Car à la vérité, les bases de cette science sont beaucoup plus fragiles qu'il ne semble.
Revenons tout d'abord sur l'idée que les mathématiques sont frappées du sceau de l'infaillible vérité.
Un et un font toujours deux nous affirme-t-on. Mais prenez une goutte d'eau et ajoutez-y une seconde goutte, et vous verrez que vous obtiendrez non pas deux gouttes mais une seule. Et si vous ajoutez un grain de sable à un tas de sable, vous aurez toujours un tas de sable. L'argument est futile penseront quelques uns. Pas tant que cela si l'on songe à certains problèmes. Par exemple combien de molécules d'eau doivent s'agréger pour pouvoir considérer être en présence d'un liquide et non plus d'un gaz ? Nul ne le sait.
Bien sûr vous pouvez encore rétorquer que l'important est de bien choisir l'objet de la mesure. Mais êtes-vous vraiment certains d'être alors capables d'en faire une mesure fiable, c'est-à-dire universellement valable à un petit facteur d'imprécision près. Considérez par exemple ce livre que vous tenez. Si nous vous demandons de mesurer sa hauteur, vous aller prendre une règle graduée, et vous trouverez sans difficulté qu'elle est égale à 24 centimètres, à un ou deux millimètres près. Vous en serez tout à fait certains. Supposez maintenant que nous vous demandions d'effectuer cette mesure non plus avec une règle graduée en centimètres, mais avec une minuscule règle longue d'un dixième de millimètre et graduée en centièmes de millimètres. L'opération aurait lieu bien sûr sous microscope. Vous risqueriez d'être très surpris du résultat, car ce n'est plus 24 cm que vous trouveriez, mais peut-être 25, voire 30 cm, sans que vous ayez fait aucune erreur ! D'où vient cet écart ? Du fait que la bordure du livre n'est pas parfaitement rectiligne (regardez-la avec une simple loupe), votre grande règle est totalement inappropriée à la prise en compte des minuscules irrégularités. En revanche, la petite règle peut suivre tous les contours, ce qui ajoute à la longueur. Ceci montre qu'une certaine grandeur d'un objet n'a de sens que par rapport à l'étalon qui sert à la mesurer. Et il n'y en a pas une qui soit plus vraie qu'une autre. Toutes sont également valables à condition de préciser l'étalon, et à condition bien sûr qu'aucune erreur ne se soit glissée dans l'opération même de mesure : la bordure du livre mesure bien 24 cm avec une règle graduée en mm, et également 25 cm avec une règle graduée en centième de mm ! Cette variabilité en fonction de l'échelle est liée à la nature fractale de l'univers. Nous en reparlerons dans la seconde partie.
Autre limite de l'outil mathématique, la calculabilité. De quelle utilité est une formule mathématique qui décrit un phénomène, et surtout quelle valeur lui accorder, si l'on est dans l'incapacité de la calculer ? Ainsi une loi aussi simple que celle de la gravitation de Newton ne permet pas des calculs rigoureux au-delà de deux corps massifs (à titre d'information, le système solaire contient, en plus du Soleil, 9 planètes, quelques dizaines de lunes, et des milliers d'astéroïdes) (1). Le problème bien sûr empire avec les théories les plus récentes, qui sont d'une abominable complexité mathématique. C'est le cas de la physique quantique, où d'incroyables manipulations sont requises pour obtenir des résultats utilisables. Vous prenez par exemple une série qui ne converge pas (c'est-à-dire une formule mathématique prenant une valeur infinie), vous en soustrayez quelques termes infinis sortis de votre chapeau, et vous obtenez un résultat fini dont vous pouvez faire quelque chose. Cette cuisine est pratiquée couramment en physique quantique. Elle s'appelle la renormalisation (2).
Pour ne rien arranger, il existe plusieurs cas où des modèles ultérieurement rejetés ont permis des calculs d'une très grande précision. Un des plus connus est l'atome planétaire de Bohr (3). La précision mathématique n'est donc en rien un gage de vérité.
Terminons ce panorama en évoquant certains excès auxquels conduit ce réductionnisme mathématique. Selon la théorie de l'information (4), la quantité d'information contenue dans le mot " amour " s'élève à 23,50 , et celle contenue dans le mot " haine " s'élève précisément à la même valeur 23,50 . Pourtant, pour quiconque comprend le français, ces deux mots sont loin de se valoir. Cela ne serait pas trop grave si la théorie de l'information était restée cantonnée aux télécommunications et à l'informatique. Malheureusement, depuis quelques années, biologistes et neurologistes s'en sont entichés, et croient grâce à elle trouver les clés de la pensée. Mais comment expliquer alors que chacun de nous soit capable de faire si facilement la différence entre l'amour et la haine ? Conclusion : on ne se débarrasse pas aisément des qualités et de la signification. Certains mathématiciens l'ont d'ailleurs compris puisqu'ils essaient de développer des mathématiques de la qualité et non plus de la quantité (5).
Le second point de fragilité de l'édifice scientifique est le postulat d'objectivité. On nous dit qu'il faut être " photographe passif des phénomènes ", mais est-ce possible ? Le modèle de la perception élaboré dans le premier chapitre nous incite plutôt à penser que cette objectivité est une illusion, parce que nous voyons obligatoirement le monde à travers le filtre de nos présupposés. Nous participons à la construction des phénomènes.
Supposez que vous vous trouviez dans une pièce et que nous vous donnions cette injonction : " Cherchez ! ". Vous allez bien sûr protester : " Chercher quoi ? " Et nous vous répondrons simplement : " Cherchez ". Vous faites donc le tour de la pièce en notant vos observations : " un canapé ; deux fauteuils ; une lampe halogène ; un tapis ; une table basse ". Vous nous rendez compte de vos résultats, et nous ne pouvons que vous redire de chercher. Moins enthousiaste, vous vous remettez tout de même au travail : " longueur 4m ; largeur 3m ; hauteur 2,5m ". Vous n'avez malheureusement toujours pas trouvé. Comme ce jeu stupide commence à vous agacer, voici la solution : nous voulions savoir s'il ne faisait pas trop froid pour que bébé puisse faire sa sieste. " Si j'avais su, direz-vous, j'aurais trouvé tout de suite ". Cela ne fait aucun doute.
Aucun doute non plus que la recherche en science ne se fait pas autrement : ce que vous ne cherchez pas, vous ne le trouverez pas. Maints exemples en témoignent. Nous n'en citerons que deux pour ne pas alourdir la discussion.
Le pendule en physique désigne une petite masse qui oscille en étant suspendue au bout d'un fil. Avant Galilée, il n'était venu à l'idée de personne de mesurer la durée de ces oscillations. Pourquoi ? Simplement parce qu'une telle durée n'avait aucun sens dans le cadre des conceptions physiques de l'époque, héritières d'Aristote. Pour les aristotéliciens, le pendule n'était en effet qu'un corps pesant retenu par un fil, qui gagnait avec difficulté sa position naturelle de repos. Par conséquent les oscillations en elles-mêmes ne présentaient aucun intérêt. Seul comptait à la limite le temps global mis pour retrouver l'immobilité. Galilée renversa la perspective en mettant l'accent sur les oscillations et non plus sur le retour au repos. Il se dit que le pendule était un corps qui oscillait en répétant presque le même mouvement. Il put ainsi mettre en évidence le concept de période, et montrer qu'elle était indépendante de l'amplitude des oscillations. Conséquence parmi d'autres : la construction d'horloges plus précises, les pendules justement.
Autre exemple, la théorie de la relativité. Tout le mérite en est généralement attribué à Einstein, et l'on oublie souvent de citer Poincaré et Lorentz qui en ont posé les équations de base. Pourquoi l'histoire n'a-t-elle retenu que le nom d'Einstein ? Parce que Poincaré et Lorentz n'ont pas réussi à briser le cadre de l'espace absolu et du temps absolu, ce qui fait qu'ils n'ont pas su tirer toutes les conséquences de leurs équations. Comme Galilée, Einstein commença par changer sa façon de voir le monde, et il put ensuite sans difficulté franchir l'obstacle qui avait retenu ses prédécesseurs (6).
La conclusion qui ressort de ces observations est que le schéma habituel de la recherche scientifique qui, partant de faits objectifs, aboutit à une théorie est erroné. C'est la signification donnée a priori à l'ensemble de l'acte qui oriente la recherche et permet de trouver. Autrement dit, les observations prétendument objectives de la science doivent en fait autant à notre esprit qu'au monde lui-même. Elle n'est en cela pas différente du premier mode de connaissance, la perception. Mais alors se pose la question de savoir ce qui a été trouvé. Nous ne serons en mesure d'y répondre qu'à l'issue de la seconde partie de cet ouvrage.
Le dernier point de fragilité de la méthode scientifique est l'expérimentation. Elle repose sur une importante hypothèse implicite : la non-interférence entre l'observateur du phénomène et le phénomène observé. Ce n'est pas le cas dans d'autres disciplines. Chacun sait qu'en cuisine par exemple, la qualité des plats dépend autant de l'humeur et de l'inspiration de celui qui les prépare, que de la qualité des ingrédients. C'est ce qui fait que la cuisine est un art et pas une science, et qu'il ne suffit pas de suivre une recette à la lettre pour être assuré de sa réussite. En science en revanche, le suivi scrupuleux d'un protocole expérimental est censé garantir l'obtention des mêmes résultats, que la manipulation se déroule à Paris, New-York ou Tokyo, et qu'elle ait lieu aujourd'hui ou dans un an. C'est à cette condition seulement qu'il est possible de formuler des lois de portée générale.
Que faut-il en penser ? L'expérience n'est-elle pas un peu un art aussi ?
Supposez que vous ayez à étudier un animal aux moeurs nocturnes. Vous vous munissez d'une puissante lampe torche et vous rendez sur le territoire qu'il fréquente. Et vous attendez. Les heures s'écoulent. Soudain, un bruit. Vous braquez votre torche dans sa direction et découvrez une sorte de volatile dans une immobilité complète, comme s'il était hypnotisé par la lumière. Au bout de quelques minutes, vous éteignez, et l'entendez alors qui s'éloigne. L'expérience se répète, si bien que le jour venu vous êtes en mesure de faire une description très détaillée de l'animal. Le bilan est somme toute plutôt maigre car votre manière de l'observer vous l'a révélé toujours immobile, c'est-à-dire très différent de ce qu'il est dans son état normal. Bien sûr vous pourriez concevoir un dispositif moins perturbant, mais il le serait toujours a un degré ou un autre, vous obligeant à interpréter les résultats, donc à introduire un jugement de votre part.
Derrière tout dispositif expérimental, il y a cette interrogation : dans quelle mesure le phénomène observé n'est-il pas engendré par l'acte même d'observation ? Si vous allez chez le médecin avec appréhension et qu'il vous prenne la tension, sa valeur ne sera en rien " normale " mais reflétera plutôt votre état dans cette situation particulière, tout à fait inhabituelle. C'est vrai de l'expérimentation en biologie. C'est vrai aussi de l'expérimentation en physique, car selon la théorie quantique, un phénomène est défini par le tout indivisible formé par le système observé et le dispositif d'observation. Ainsi, si vous concevez un dispositif expérimental destiné à déterminer la position d'une particule, vous ne pourrez connaître que sa position, et serez dans l'incapacité d'apprécier sa vitesse avec précision. Et si vous concevez un dispositif qui oblige une particule à se manifester comme une onde, vous la verrez comme une onde et pas comme un corpuscule, alors qu'elle est les deux à la fois avant que vous ne l'observiez.
Cet important biais de la méthode expérimentale induit un effet pervers : puisque les entités observées sont forcées dans des comportements inhabituels, voire anormaux, il devient excessivement délicat de tirer des lois générales s'appliquant aux cas normaux à partir des résultats obtenus. Pour prendre un exemple connu, une des limites de la psychanalyse vient de ce qu'elle s'est édifiée à partir de quelques observations de cas pathologiques.
Récapitulons : trois des plus importants fondements de la méthode scientifique s'avèrent extrêmement fragiles : les mathématiques comme critère de vérité, l'objectivité de la démarche, et la validité de la méthode expérimentale. Mais alors se pose la question de savoir comment, en dépit de cette fragilité, d'aussi nombreux et importants succès ont été obtenus.
Le premier argument est d'ordre sémantique. Le mot " science " est en effet réservé à ces domaines où le progrès et l'efficacité ne font aucun doute. Par conséquent, si " ça ne marche pas ", c'est qu'on ne fait pas vraiment de la science : cf. les interminables débats sur le statut des sciences sociales.
Le second argument est d'ordre pragmatique, et il consiste à interpréter l'ensemble de la construction scientifique comme un prolongement des outils de survie de l'homme. Pour comprendre cela, revenons sur l'exemple de la grenouille. Vous vous souvenez que son oeil perçoit comme des insectes uniquement des petits objets en mouvement. C'est amplement suffisant pour qu'elle survive. Il s'agit donc d'une forme de connaissance validée par l'action. La nature véritable des objets connus n'a aucune importance. Le dispositif fonctionne et la grenouille survit, ou il ne fonctionne pas et il n'y a plus de sujet de discussion. De même, dans les sociétés humaines en général, et dans les groupes de scientifiques en particulier, se transmettent de génération en génération les savoirs les plus valables, au sens ici d'efficaces pour survivre. C'est à cause du phénomène de la toute-puissance d'un Modèle du Monde étudié dans le premier chapitre, que naît la confusion entre efficacité et vérité : on croit atteindre le réel alors qu'on n'a fait que construire un dispositif qui fonctionne, comme l'oeil de la grenouille.
Le troisième argument expliquant les succès de la science est d'ordre mathématique. En prenant un nombre fini de mesures, il est toujours possible de trouver une formule mathématique qui approche cette série avec une précision arbitraire. Si, par exemple, nous suspendons des objets au bout d'un ressort, il est facile de constater que l'allongement est proportionnel au poids. Si au lieu d'un ressort nous prenons un fil de laine, les résultats s'ordonnent beaucoup plus difficilement, ce qui nous conduit plus ou moins rapidement à laisser le cas de côté. Nous voyons donc une nouvelle fois en oeuvre la sélectivité de la perception : en choisissant de faire une mesure, une frontière est établie entre un minuscule domaine jugé digne d'être exploré, et tout le reste de l'univers qui est ignoré. Dans l'étroit domaine ainsi délimité, ne sont retenus que quelques phénomènes présentant une régularité suffisante pour faire l'objet d'un traitement mathématique. Il ne faut donc pas être surpris si au bout du compte quelques phénomènes prennent l'allure de jolies formules et font l'objet de prédictions vérifiées. Reste qu'un immense pan de l'univers a été laissé de côté.
A l'issue de cette réflexion sur la valeur de la science, il faut prendre garde à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Il est indéniable que la science repose sur des assises fragiles, et qu'elle ne saurait prétendre à la vérité. Mais il est non moins indéniable qu'elle constitue un formidable outil qui a fait ses preuves. Il est donc hors de question de la rejeter impulsivement, comme le font certains, sous prétexte que tel ou tel résultat n'est pas satisfaisant. L'important est de comprendre ce qu'elle est, d'appréhender tant ses compétences que ses limites, pour être en mesure d'en faire un usage raisonnable.
Prenons l'exemple de la médecine. Bien des critiques émises ces dernières années à son encontre sont justifiées. Mais si vous souffrez d'une crise d'appendicite aiguë, ce n'est ni une tisane ni un médicament homéopathique qui vous sauvera, mais bien la chirurgie et les antibiotiques.
L'essentiel finalement à retenir est que toutes les théories ont des limites infranchissables. Employées à l'intérieur de ces limites, elles donnent des résultats formidables (c'est ainsi que des antibiotiques soigneusement sélectionnés agissent efficacement sur des infections sévères). Mais employées à l'extérieur de ces limites, les théories donnent souvent des résultats désastreux (à force d'avoir été administrés à tort et à travers, les antibiotiques ont suscité l'apparition de souches microbiennes extrêmement résistantes, à tel point que la tuberculose, le choléra, et d'autres grandes faucheuses du passé risquent d'être bientôt à nouveau d'actualité (7)).
La méthode scientifique permet seulement de construire des théories provisoires et fragmentaires ayant pour vertu de faciliter l'action dans des domaines étroits et précisément délimités. Elle ne saurait en aucun cas prétendre fournir une description fidèle de la réalité. Elle n'est finalement guère différente de la perception, ce qui n'est pas pour surprendre si l'on songe que les dispositifs expérimentaux ne sont rien d'autres que des extensions de nos organes sensoriels. C'est également pour cette raison que derrière toutes les constructions théoriques, nous trouvons un Modèle du Monde implicite donné a priori, le modèle de la machine.
C'est encore à Descartes que nous devons l'idée selon laquelle le fonctionnement de l'univers est analogue à celui d'une machine : " L'univers est une machine où il n'y a rien du tout à considérer que les figures et les mouvements de ses parties " (lettre à Plempius). Derrière cette formulation simple se cachent en fait des notions assez subtiles, qui valent la peine d'être creusées afin de mieux comprendre les limites de la science actuelle et trouver comment les dépasser.
La première notion importante est celle d'étendue, par quoi Descartes entend simplement qu'un corps matériel occupe une certaine partie de l'espace. En d'autres termes, la matérialité d'un corps est seulement une propriété géométrique : elle commence et s'achève là où commence et s'achève l'espace, l'étendue, qu'il délimite. Par exemple votre corps et ce livre délimitent deux portions différentes d'espace, et correspondent de ce fait à deux corps distincts, impénétrables. Imaginez à présent que vous portiez des vêtements très serrés, comme une tenue de plongée. Fermez les yeux et contentez-vous de ressentir la pression qui s'exerce sur votre corps. Vous aurez ainsi une bien meilleure impression que par la vue de la manière dont vous remplissez l'espace.
Pour opérer la réduction de la matière à l'étendue, Descartes a besoin d'un espace qui ait partout les mêmes propriétés. Vous savez par exemple que le fait de transporter ce livre sur la Lune ou sur Mars ne va pas changer ses caractéristiques intrinsèques, ni la nature des lois auxquelles il est soumis. Ce n'est pourtant pas ainsi que les aristotéliciens voyaient les choses. Pour eux, l'univers était constitué de " lieux " possédant des propriétés différentes. Ainsi la Terre, supposée immobile au centre de l'univers, était le lieu de repos des corps pesants, attirés vers elle par affinité, tandis que le ciel était le lieu de repos de l'élément " feu ", que sa nature légère attirait vers le haut. Les corps célestes n'étaient donc pas soumis aux mêmes lois que les corps terrestres. Vous comprenez maintenant la fameuse anecdote de Newton (1643-1727). On dit qu'il eut l'intuition de la force gravitationnelle en voyant tomber une pomme. En fait, il réalisa à cet instant que c'était la même cause qui provoquait la chute de la pomme et qui maintenait la Lune sur son orbite. Si tous les savants qui l'avaient précédé n'étaient pas parvenus à cette conclusion en voyant aussi tomber des fruits, c'était simplement parce qu'ils ne pouvaient concevoir que monde terrestre et monde céleste étaient de même nature et obéissaient aux mêmes lois. Newton avait déjà dans la tête la conception cartésienne de l'espace, et c'est pourquoi il put franchir le pas.
Nous venons de voir que dans le modèle du monde-machine, l'étendue rend compte de la nature de la matière : ce n'est rien d'autre qu'une portion parfaitement délimitée d'un espace partout semblable à lui-même donné a priori. Comment s'explique alors le changement ? Très simplement : il se confond avec le mouvement. Cette idée n'a toutefois rien de banal. Souvenez-vous par exemple que les Hopis ne conçoivent nullement le mouvement mais pensent en termes de transformation globale. Si une plante croit, ce n'est pas pour eux à cause d'un déplacement de matière du sol vers la plante mais parce qu'elle est dans une dynamique évolutive qui transforme sa substance même. Au contraire, dans l'approche mécaniste, la substance constitutive de l'univers reste inchangée tandis que se font et se défont des assemblages. Les choses ne changent pas vraiment, elles bougent. De là découlent tant l'atomisme moderne que l'idée selon laquelle les lois de la nature sont immuables (les scientifiques ont toujours éprouvé une vive aversion à l'encontre des lois variables). Dans une approche évolutionniste au contraire, comme celle des Hopis, c'est le fond lui-même qui change, entraînant alors des changements de forme.
En résumé, le mécanisme est le modèle qui explique toutes les propriétés des objets matériels par l'étendue et le mouvement seulement. Et sous-jacente à ces deux notions nous trouvons celle d'espace, ce qui fait finalement de celui-ci l'élément primordial de cette ontologie. Or vous vous souvenez probablement avoir lu dans le premier chapitre que l'espace est en partie une construction de notre esprit. Par conséquent il ne saurait être pris comme fondement d'une métaphysique. La base même du modèle mécaniste s'en trouve fragilisée.
Vous penserez peut-être que depuis Descartes bien des choses ont changé. Assurément. Il n'a d'ailleurs pas fallu attendre longtemps, car tandis que Descartes considérait que la seule origine du mouvement était le choc, comme dans un jeu de billard où une bille en carambole une autre, Newton ajouta avec la gravitation l'idée de force à distance. Plus tard, pour réconcilier la physique de Newton avec la théorie électromagnétique de Maxwell, Einstein développa la théorie de la relativité restreinte, puis la théorie de la relativité générale. C'est d'une certaine manière un retour vers Descartes avec une géométrisation complète où la gravitation devient une propriété de l'espace-temps lui-même. Le prix à payer est une considérable complexification de l'espace, qui devient espace-temps quadridimensionnel, et courbe de surcroît ! Nous n'entrerons pas dans les détails, l'essentiel à retenir étant que l'espace conserve son statut privilégié. Les travaux en cours en physique vont également dans ce sens puisque les scientifiques en sont à construire des espaces à 11 dimensions (8) pour essayer d'unifier les quatre forces fondamentales de la nature, sans grand succès pour le moment. N'essayez pas d'imaginer à quoi peuvent bien ressembler ces espaces car il s'agit de pures abstractions mathématiques que nul n'est en mesure de se représenter. Quoiqu'il en soit, ces recherches constituent d'une certaine manière l'aboutissement du rêve de Descartes, où la géométrie est censée tout expliquer du monde. Même si tout au long de ces tours et détours les physiciens se sont considérablement éloignés du modèle initial de la machine, un fait demeure, la place primordiale occupée par l'espace, ou l'espace-temps, dans toutes ces élaborations. Or, nous venons de le rappeler, l'espace ne peut valablement constituer le fondement d'une ontologie. Par conséquent toutes ces constructions sont bancales. Une seule en fait échappe pour le moment à cette critique, la physique quantique, mais nous verrons qu'elle butte elle aussi sur des obstacles.
En concevant le mécanisme, Descartes n'avait pas pour seule ambition de fournir une description de la matière et de l'espace. Il voulait également s'en servir pour expliquer les comportements de tous les objets de l'univers, êtres vivants compris : " Les fonctions d'un corps vivant suivent toutes naturellement en cette machine de la seule disposition de ses organes, ni plus ni moins que font les mouvements d'une horloge, ou autre automate, de celle de ses contrepoids et de ses roues " (Traité de l'homme). Mais du principe philosophique à la réalisation scientifique, la distance était grande. C'est pourquoi il a fallu attendre que de notables succès soient obtenus en physique, à la suite des travaux de Newton notamment, pour que les savants osent étendre le domaine d'application du modèle. Nous le voyons alors envahir progressivement la biologie, la sociologie, l'économie, etc., jusqu'au point actuel où il exerce son emprise sur toute la société. Une abondante littérature existe déjà qui décrit tout cela en détail. Aussi allons-nous nous contenter de balayer très rapidement le vaste territoire que le Mécanisme couvre désormais.
En biologie, les choses sont on ne peut plus claires depuis la découverte du code génétique : la vie n'est rien d'autre qu'une vaste danse moléculaire orchestrée par les gènes. Voilà qui est censé tout expliquer du fonctionnement du vivant. Comme l'a si bien dit Monod dans un ouvrage qui fait toujours référence : "Les êtres vivants sont des machines chimiques ; la croissance et la multiplication de tous les organismes exigent que soient accomplies des milliers de réactions chimiques grâce à quoi sont élaborés les constituants essentiels des cellules " (9).
Cette machine chimique explique également l'évolution des espèces. Trois règles suffisent pour cela : 1. l'hérédité est entièrement contenue dans les gènes ; 2. la seule source de variabilité est la mutation au hasard du matériel génétique ; 3. la sélection naturelle se charge d'éliminer celles qui ne sont pas adaptées.
La psychologie elle-même devient un chapitre de " mécanique " puisque la pensée n'est censée être rien d'autre que le résultat de la propagation d'influx nerveux entre des neurones (10).
Tout ceci est aujourd'hui bien connu. Nous n'insisterons pas. Nous ajouterons seulement que notre système médical est tout droit issu de cette conception mécaniste de la vie. Comme le corps est assimilé à une machine, la maladie devient une simple malfonction, dont l'origine est soit génétique, il s'agit alors en quelque sorte d'un défaut de fabrication, soit provoquée par un agent extérieur, microbe et autres produits chimiques. Puisque la maladie se trouve réduite à quelques symptômes, le rôle du médecin se limite à éliminer les symptômes. Il dispose pour ce faire de deux armes, la chirurgie d'une part, qui sert à réparer voire à remplacer (greffes) les pièces défectueuses, et les médicaments d'autre part, pour agir sur le fonctionnement même de la machine moléculaire et sur les causes immédiates des symptômes.
Concernant l'organisation et le développement de la société, nous retrouvons une semblable influence du mécanisme, tant dans les doctrines libérales que dans les doctrines socialistes, qui ne sont en fin de compte que deux faces d'une même pièce. Cette profonde convergence, nous pouvons la résumer ainsi :
Ce grand mouvement de diffusion du mécanisme encourt principalement deux reproches.
Le premier est l'anthropomorphisme qui entache le modèle dès l'origine. Rappelons en effet qu'il est né tout bonnement de la transposition à la nature de construction humaines. Descartes lui-même le constate : " Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose " (Principes philosophiques). Les premières analogies sont tirées des premières machines construites par l'homme, à savoir les horloges, automates et machines hydrauliques. Puis au fil du temps, de nouvelles sont conçues qui servent à leur tour de modèles : machines à vapeur, machines électriques, jusqu'aux ordinateurs d'aujourd'hui.
Précisons que l'anthropomorphisme n'a en soi rien de répréhensible. Il est par contre tout à fait gênant dans le cadre de cette science qui se prétend détachée de toute subjectivité humaine !
Le second reproche que nous pouvons adresser à l'encontre de cette généralisation du modèle mécaniste est que l'on a trop facilement assimilé " succès " et " vérité ", pour passer ensuite sans y prendre garde de " vérité " à " unique vérité ". Nous entendons par là que le mécanisme s'est changé de modèle fécond qui se contentait d'orienter les recherches, en dogme intolérant n'acceptant rien qui le contredise. Tous les chercheurs qui ont des idées un tant soit peu originales en savent quelques chose. N'ayant pas l'intention d'entrer dans des polémiques stériles, nous laissons à chacun le soin de trouver des exemples.
Pourtant, il n'était pas initialement dans l'idée de Descartes de réduire ainsi les choses. Sa philosophie en effet était dualiste, laissant subsister un monde spirituel à côté du monde matériel. Mais confortée par ses succès, la science a progressivement envoyé dans l'inexistence tout ce qui n'était pas matériel. D'où ce genre de formule, plus que jamais en vogue : "Je n'accepte en aucune manière l'opinion que les phénomènes de l'esprit ne supportent pas une description physico-chimique. Tout ce que nous apprendrons jamais , scientifiquement, à leur sujet, sera de nature mécaniste. Pour la science, l'homme est une machine, et s'il n'en est pas ainsi, alors il n'est rien du tout ". Cette citation de Joseph Needham date du temps où il faisait des recherches sur le cerveau. Depuis sa rencontre avec le taoïsme en Chine, il est revenu à des positions plus sages. Tout le monde ne peut en dire autant.
C'est ce réductionnisme visant à faire du mécanisme le modèle expliquant tout qui aboutit aujourd'hui, après des succès incontestables, à d'innombrables blocages et paradoxes. Cela concerne autant la science que la société dans son ensemble qui est sa fille. Citons en vrac : une médecine de moins en moins efficace et qui refuse d'admettre les vertus d'autres approches comme l'homéopathie ou l'acupuncture ; un système économique déshumanisé, en dysfonctionnement croissant, et auquel plus personne ne comprend rien ; un mal de vivre grandissant alors que jamais l'homme n'a connu pareille abondance ; des problèmes écologiques de grandes ampleurs, peut-être insolubles Tous ces effets pervers ne peuvent plus être ignorés. Ils font d'ailleurs de plus en plus la une de l'actualité. Bref, pour avoir voulu réduire le monde à des agitations désordonnées d'une matière inanimée, nous avons fini par devenir nous-mêmes de la matière inanimée en agitation désordonnée !
La critique que nous venons d'adresser à la science se situe sur le seul terrain de l'épistémologie, parce que notre intention est de construire, pas de détruire. Nous voulons trouver dans les acquis et les limites de cette science ce qu'il faut pour en bâtir une nouvelle permettant de surmonter ses paradoxes, et d'attaquer efficacement les difficiles problèmes auxquels elle se heurte aujourd'hui sans succès.
Et si la critique est sévère, c'est que l'enjeu est de taille. La science en effet n'est pas une simple distraction intellectuelle. Elle a depuis longtemps quitté les salons pour infiltrer, pénétrer et gouverner l'ensemble de nos sociétés. Il y a dans cette idée beaucoup plus que le fait que les scientifiques sont comme de nouveaux prêtres, à qui l'on demande des avis définitifs sur tout, même en morale. Plus important que cela, la vision du monde de la science s'est insinuée partout, jusqu'à imprégner notre langage, modeler notre pensée, nos paysages, notre éducation, notre travail, bref notre vie. Ses limites sont donc aussi celles de nos sociétés. Les problèmes dans lesquels elles sont aujourd'hui empêtrées ne sont pas des problèmes particuliers susceptibles de recevoir des réponses ponctuelles. Le problème est global, et remonte à la vision même qui leur sert de fondement. C'est donc bien la science, sa méthode et son modèle du monde, qu'il faut renouveler.
Le monde, nous l'avons dans notre tête. Chacun possède une représentation qui lui est propre. Mais au-dessus de ces images personnelles, il y en a une autre qui est venue se greffer lentement au fil des siècles, sans que nous nous en rendions compte. Elle est commune à la plupart des hommes de la planète aujourd'hui. A notre insu, ce modèle est devenu la référence. Il est la dernière vérité en date. Il est enfant de la vision de Descartes et de ceux qui ont développé ses idées. C'est la science moderne. Ses succès sont tels qu'elle a imprégné toute la société. C'est pour cela que même si nous n'avons pas la moindre notion de science, nous ne pouvons échapper à son influence, à son emprise.
Comment en sommes-nous arrivés là ? A l'époque de Descartes, la plus grande confusion régnait dans les têtes. Toutes les explications se mélangeaient et il était devenu urgent de remettre un peu d'ordre. Descartes a regardé autour de lui et a vu les machines construites par l'homme, en l'occurrence des horloges. Il a donc pris cela comme modèle du fonctionnement de toute la nature. La machine est devenue l'étalon. Ce point de départ en valait un autre et n'était pas mauvais en soi. Nous avons cherché la machine et nous l'avons trouvée. Très bien même puisque toute notre technologie est enfant de cette recherche. De succès en succès, il s'est produit un glissement sans que nous nous en rendions compte. Puisque le monde se comportait comme une machine, nous en avons logiquement conclu qu'il n'était effectivement rien d'autre qu'une machine. Et comme on découvrait de plus en plus ses rouages, cela nous a suffit pour étendre le modèle à toute la société.
Et l'esprit dans tout ça ? Etant donné qu'il n'était plus un objet de science, il s'est trouvé relégué en marge, comme un simple complément personnel destiné à faire passer la pilule de cette existence matérielle vide de sens. Il s'est retrouvé dans l'art, la spiritualité, l'ésotérisme, etc. Cela fait qu'aujourd'hui, il y a en chacun de nous un schizophrène qui sommeille, partagé entre deux visions du monde, celle de la matière, et celle de l'esprit.
Bravo Monsieur Descartes ! Votre modèle a triomphé. Il nous a apporté de grands bienfaits, mais nous avons l'impression qu'il est aujourd'hui en bout de course. Il ne peut plus nous servir pour aller plus loin dans la connaissance du monde, et il commence même à être franchement néfaste pour la société. Il est peut-être temps de changer de film. Mais quel film ? Rayer complètement ce fichu esprit qui résiste pour ne garder que la matière ? C'est déjà presque complètement fait et les résultats ne sont pas très satisfaisants : pollution, armes thermonucléaires, déshumanisation de la société, etc. Alors supprimons la matière et ne nous intéressons qu'à l'esprit ? Le film lui aussi est déjà passé, et il continue même d'être projeté dans d'autres contrées, sans beaucoup plus de succès. A grande échelle, ses effets sont terribles : intolérance, intégrisme, guerres de religion, etc. Alors si on ne peut choisir l'un ou l'autre, choisissons les deux à la fois, l'esprit et la matière. Mais là non plus cela ne va pas, car nous l'avons vu, il est impossible de concilier ces deux notions qui sont par essence inconciliables. Il faut donc trouver un troisième élément qui englobe à la fois la matière et l'esprit et qui de ce fait les dépasse.
1. Jacques LASKAR et Claude FROESCHLE, Le chaos dans le système solaire, La Recherche n°232, mai 1991.
2. Marceau FELDEN, Le modèle géométrique de la physique, Masson, 1992.
3. John GRIBBIN, Le chat de Schrödinger, éditions du Rocher, 1984.
4. SHANNON and WEAVER, A mathematical theory of communication, University of Illinois Press, 1948.
5.Françoise CHATELIN et Valérie FRAYSSÉ, Qualitative computing, CERFACS-THOMSON CSF, 1993.
6. EINSTEIN et INFELD, L'évolution des idées en physique, champs Flammarion, 1983.
7. dossier La revanche des microbes, Science et Vie n° 904, 905 et 906, janvier, février et mars 1993.
8. Daniel FREEDMAN et Peter van NEUWENHUIZEN, Les dimensions cachées de l'espace-temps, Pour la Science, mai 1985.
9. Jacques MONOD, Le hasard et la nécessité, points seuil, 1970.
10. Jean-Pierre CHANGEUX, L'homme neuronal, Fayard, 1983.
Atomisme: doctrine philosophique selon laquelle la matière à son niveau ultime est constituée d'atomes, c'est-à-dire de corps minuscules qui, juxtaposés, permettent de construire tout ce qui existe. Pour les philosophes de l'antiquité, Leucippe, Démocrite, Epicure, etc., ces atomes, en tant qu'ils étaient littéralement insécables, constituaient l'essence de toutes choses. La conception moderne a quelque peu évolué, puisqu'on considère aujourd'hui que les atomes sont à leur tour constitués de particules plus élémentaires appelées quarks.
Epistémologie: science de la connaissance. C'est tenter de répondre à ces questions: que connaissons-nous? comment connaissons-nous? quelle est la valeur de nos connaissances? Elle est intimement liée à la métaphysique avec laquelle elle constitue le coeur de toute réflexion philosophique. Les grands philosophes de l'Occident, les Socrate, Platon, Aristote, Descartes, Kant, etc., se sont beaucoup occupés d'épistémologie. C'est aussi le cas dans d'autres traditions, par exemple le bouddhisme dont elle constitue une des préoccupations centrales.
Etendue: " La nature de la matière, ou du corps pris en général, ne consiste point en ce qu'il est une chose dure ou pesante ou colorée ou qui touche nos sens en quelque façon, mais seulement en ce qu'il est une substance étendue en longueur, largeur, et profondeur. " (Descartes, Principes philosophiques)
Fractal: le nom vient de la découverte d'objets géométriques étranges n'ayant pas une dimension entière mais une dimension fractionnaire. On sait par exemple concevoir des courbes de longueur infinie " étalées " sur une surface finie. Il ne s'agit donc en fait ni de courbes, qui sont dotées d'une dimension égale à 1, ni de surfaces, de dimension 2, mais d'objets intermédiaires. L'étude de ces objets, souvent produits par itération, a conduit à mettre le doigt sur la grande importance de l'échelle dans les phénomènes.