Je me souviens. Nous étions au mois de juin 1992, et je venais de rencontrer Vahé. Il avait passé la journée à m'expliquer comment il concevait le monde. Pour lui, il n'y avait pas de différence fondamentale entre la matière et l'esprit, car tout dans l'univers était fait d'une même substance possédant une nature semblable à la pensée. La frontière entre les deux mondes était seulement une illusion de notre conscience. Ces bulles de pensées, qu'il appelait eidos, étaient sans cesse en mouvement : elles se rejoignaient, puis se séparaient, et de ces unions-séparations naissaient à chaque fois de nouvelles pensées. Ce mécanisme, Vahé l'avait appelé le Principe Moteur de l'univers. Au-dessus, il plaçait un autre principe, directeur celui-là, le chef d'orchestre de toute l'histoire. Le Principe Directeur dirigeait les unions-séparations des eidos, donnant à chacun l'énergie d'aller jusqu'au bout de lui-même. Mais comme ces deux Principes n'étaient que mouvement, il nous était impossible de les voir. Nous ne pouvions avoir accès qu'aux eidos, le résultat de leur travail. Ainsi, tout dans l'univers s'enchaînait d'une manière logique par un processus de cause à effet implacable. Comme tout était fait de la même substance, tout pouvait interagir. Au fond, dans ce monde-là, rien n'était vraiment séparé. C'est ce qui faisait dire à Vahé que tout ce qui existait tenait dans un Point. A toute cette histoire, son ami Charles avait trouvé un nom barbare : la Weid. Cette Weid représentait le fruit de plus de dix années de réflexions et de recherches tous azimuts. Honnêtement, je dois avouer que sur le coup je n'avais pas compris grand chose ! Mais je n'ai pas osé le dire
Ce soir-là, pourtant, j'ai fait un étrange rêve. Un rêve qui n'en était pas vraiment un car j'avais l'impression d'être éveillée. En quelques secondes, j'ai vu, senti, connu, et compris ce qu'il voulait dire. Il y avait au-dessus de ma tête des bulles, comme des bulles de savon légèrement teintées de rose et de jaune. Je me suis approchée, et j'ai réalisé instantanément que ces bulles était des bulles de pensées. Chacune d'elle représentait une idée, je ne me souviens plus laquelle. Alors quelque chose comme un grand crochet jaune et lumineux est sorti de mon coeur. Il a saisi deux bulles, et les a assemblées pour qu'elles ne fassent plus qu'une. Puis cette bulle unique de pensée est venue en moi. Je l'ai faite mienne. J'étais collée à elle, incapable de m'en dissocier. Le crochet lui-même avait disparu. Je n'étais plus que la bulle. Cette fois j'en suis certaine, je ne dormais plus. Je me suis assise sur le lit, et quelque chose d'autre s'est produit. Le crochet lumineux est réapparu, mais, pendant une fraction de seconde, il n'a attrapé aucune pensée. Il était vide de sens. Il était, tout simplement. Je me trouvais dans un état difficile à décrire, au-delà de l'émotion qu'on appelle l'amour, au-delà de l'émotion qu'on appelle la joie. J'étais tout simplement moi, quelque chose qui pouvait prendre toutes les formes, tous les visages, quelque chose que je sentais indestructible et éternel. J'étais potentiellement tout, et pourtant, à cet instant, je n'étais rien. Puis le crochet a associé à nouveaux des bulles de pensées, et d'autres, et encore d'autres. En quelques secondes, tout s'est accéléré et le mécanisme est redevenu inconscient. Ce jour-là, je me suis dit que les traditions n'avaient sans doute pas tort en nous parlant de l'esprit, de ses pouvoirs, et de cette parcelle d'immortalité qui était en chacun de nous. Comme dans un film au ralenti, j'avais vu le Principe Moteur à l'oeuvre. Il unissait et séparait sans discontinuer des bulles de pensées. L'étrange crochet qui avait jailli de mon coeur, je crois bien que c'était le Principe Directeur. Il dirigeait l'opération. Lui pouvait se passer des bulles pour exister, mais alors plus rien ne se créait. Il semblait être là de toute éternité, et constituer ma véritable substance. Pour être plus exacte, je dois dire que si j'ai visualisé le Principe Directeur comme un crochet, c'est pour pouvoir justement me raccrocher à une image ! Car en fait il ressemblait plus à un jet d'énergie, une force irrépressible, un élan de vie, qu'à un objet.
Après, bien entendu, je n'ai pas pu me rendormir. Si tout cela n'était pas qu'un rêve, je devais pouvoir m'en servir pour comprendre le monde. Si moi je possédais tout un stock de bulles de pensées, c'est-à-dire d'eidos, au-dessus de moi, cela devait être pareil pour tous les hommes. Mon ego, qui était aussi un ensemble d'eidos, me donnait l'impression que ce stock m'appartenait en propre. Chaque être humain devait ainsi posséder son paquet bien ficelé. Mais cette ficelle de l'ego tenait-elle vraiment le paquet fermé ? Sans doute pas puisque Vahé disait que dans la Weid, tous les eidos, quels qu'ils soient, pouvaient interagir. C'est ainsi que les pensées de l'un passaient chez l'autre, ce qui finissait par constituer des champs de pensées auxquels tous accédaient. Je retrouvais l'idée de l'inconscient collectif de Jung. Mais je comprenais en plus comment il se formait, puisque chaque fois qu'un homme puisait dans ce fond pour construire des pensées, il l'enrichissait. Toutes ces pensées constituaient le patrimoine de l'humanité. Certaines étaient positives, d'autres négatives, mais toutes influaient sur notre vie, que nous le voulions ou non.
Pourquoi serions-nous les seuls sur Terre à fabriquer de la pensée ? L'histoire ne s'arrêtait certainement pas là. Derrière l'instinct animal il y avait sans doute aussi du sens, de l'information, une autre forme de pensée, en d'autres termes des eidos. Cela expliquerait comment des animaux, comme les rats dans l'expérience de Mac Dougall, pouvaient se transmettre des informations par des voies subtiles qui n'étaient ni chimique, ni vocale.
Pourquoi ne pas descendre encore plus bas dans l'échelle de l'évolution et passer du règne animal au règne végétal ? S'il y avait continuité sur le plan de la matière, j'imaginais qu'il devait y avoir continuité aussi sur d'autres plans de fabrication d'eidos. Il devenait ainsi possible à une plante et à un insecte d'échanger des informations, ce qui expliquait les co-évolutions.
Tout cela m'était facile à admettre. Mais j'avais encore du mal à concevoir qu'un vulgaire caillou, un cristal, un atome, bref la matière solide, ne soient aussi rien d'autre que des eidos. Que de la pensée émerge de la matière, cela n'était pas nouveau. Mais que la matière elle-même soit de même nature que la pensée, c'est-à-dire des eidos fabriquant des eidos, cela m'était plus difficile à comprendre. Pourtant il suffisait que je me souvienne des articles que j'avais écrits sur la physique quantique pour m'apercevoir que la matière n'était plus ce qu'elle était. L'infiniment petit se jouait de nous. Il se montrait sous l'aspect que nous voulions ; il semblait ne pas obéir aux contraintes de notre espace-temps en transmettant instantanément à distance des informations ; il pouvait se matérialiser et se dématérialiser à sa guise. En résumé, cette matière en quelque sorte immatérielle me semblait proche de la pensée. Comme me l'avait dit Vahé, elle pouvait très bien elle aussi n'être qu'eidos. Restait tout de même une question : pourquoi pouvais-je voir les eidos de la matière, me heurter physiquement à eux, et pas voir de la même manière mes pensées et les pensées des autres ? La réponse, mon ami me la donna quelques jours plus tard d'une manière laconique : parce depuis des millénaires, tout le système de perception des êtres humains s'était construit pour ne sélectionner qu'une partie du réel, en l'occurrence ce que nous appelons la matière. Mais il suffisait de changer de système de perception, comme nous le faisons d'ailleurs toutes les nuits lorsque nous rêvons, pour nous apercevoir que des pensées peuvent être aussi solides et réelles que la matière que nous percevons à l'état de veille.
Ainsi, depuis le minéral jusqu'à l'homme, tous les êtres rêvaient l'univers. Et en partageant leurs rêves, ils le rendaient réel. Au sein de ce grand songe, chaque espèce s'était aménagée son îlot de réalité utile et agréable, fruit d'un travail permanent d'auto-reconstruction. En construisant ainsi son réel d'eidos, il se fabriquait lui-même, parce rêveur et chose rêvée ne faisaient qu'un. Le problème de l'oeuf et la poule devenait caduque. Ni l'oeuf ni la poule n'étaient premiers. Ils naissaient ensemble du même rêve. J'entrevoyais un processus de co-évolution universel. Mais quelque chose me gênait encore. Car si depuis le début chacun s'était ainsi auto-créé, engendrant du même coup l'univers, il ne pouvait plus y avoir posées sur le sommet de l'Olympe des vérités extérieures intangibles, plus d'absolus donc. Ces notions n'étaient, elles aussi, que des eidos fruits de la pensée des hommes, et valaient ce que vaut la pensée des hommes. Enfin, que devenait l'unité de la personne alors que chacun puisait sans s'en rendre compte dans un supermarché d'idées, se contentant dans le meilleur des cas de le faire fructifier ? Suffisait-il vraiment que je rajoute la notion d'ego pour que tout cela fasse de moi un individu à part entière ? Que restait-il de moi sinon le Principe Directeur que j'avais entrevu dans mon rêve ? Au-delà de tous ces eidos traversant les règnes de la création, il me semblait être la seule chose immuable. Si je possédais bien en moi cette force qui construisait l'univers, et si je parvenais à la maîtriser, alors je saurais contrôler mes pensées. C'était peut-être cela devenir adulte, ne plus être prisonnier de ces eidos mais savoir les utiliser au mieux. Au mieux pour quoi au fait ? Pour qui ? Pour soi, pour les autres, pour tous les hommes ? Passer de l'un au multiple, ce n'était peut-être pas impossible. Mais il fallait apprendre à regarder la vie d'une tout autre manière. Le pari valait sûrement la peine d'être tenté. C'est ainsi que j'ai essayé de comprendre ce qui se cachait sous les notions de Principe Directeur, de Principe Moteur et d'eidos. Plus j'avançais dans ces idées, plus les choses se compliquaient, plus je devais perdre en route mes illusions, et un grand nombre de mes certitudes. Mais en même temps, j'avais l'impression de renouer avec quelque chose que j'avais toujours su, quelque chose qui se trouvait en filigrane dans le savoir de toutes les traditions. Cette fois je comprenais le véritable sens des mots et des symboles, car je pouvais pour la première fois relier mes intuitions les plus profondes au cheminement logique de ma pensée.
C'est ce cheminement que Vahé et moi aimerions vous faire partager. C'est une gageure car la Weid est sous le signe d'une double difficulté. Cette métaphysique est d'abord une intuition, et il n'y a rien de plus difficile à communiquer qu'une intuition. Elle est aussi raison, et il n'y a rien d'aussi rébarbatif qu'un enchaînement rigoureux d'arguments. Ajoutez à cela que pour des raisons évidentes, nous sommes obligés de parler successivement des eidos, du Principe Moteur et du Principe Directeur, alors qu'en réalité les trois ne sont pas séparés, et vous aurez toute l'ampleur des difficultés à communiquer ces idées. Nous avons fait ce que nous avons pu pour les rendre claires. Mais il nous faut aussi votre collaboration. Cette proposition n'est pas très commerciale en ces temps où beaucoup croient que tout peut s'acquérir aisément sans travail. Nous pensons pourtant que c'est sous-estimer l'intelligence des hommes et les maintenir dans un monde d'enfants que de leur éviter ainsi de réfléchir et de penser par eux-mêmes. Alors si moi, simple journaliste, j'ai pu comprendre, je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez pas faire le même chemin. J'ajouterai que cet effort est un acte d'homme adulte. En quelque sorte un début de mise en pratique des idées que nous allons vous exposer ! Et maintenant, trêve de bavardage, lançons-nous dans l'arène !
Le résultat que nous avons atteint à l'issue de la première partie est que la seule substance admissible dans une métaphysique est du type " idée ", ou " pensée ", ou " forme ", ou " information ", ou " signification ", bref elle est immatérielle. Cette substance, nous avons décidé de l'appeler eidos. Le choix même du terme est important, et il est déjà le reflet d'une démarche weidique. Nous ne pouvions prendre en effet un mot déjà chargé de sens, qui aurait à notre insu piégé notre pensée par toutes ses connotations. C'est le cas en particulier de " information ", aujourd'hui mis à toutes les sauces, ou de " idée ", trop restreint à l'homme. Il fallait donc un mot nouveau. Mais en même temps ce mot devait résonner avec l'idée même que nous voulions exprimer. Eidos, qui en grec signifie forme ou idée, sonne peut-être nouvellement à nos oreilles d'occidentaux du vingtième siècle. Mais il est en résonance avec ce que bien des philosophes et des sages ont dit. Il est déjà weidique. D'ailleurs le mot weid lui-même n'est que la racine indo-européenne du mot eidos. La boucle est bouclée. Et grâce à ces mots, nous entrons en contact avec ces profonds savoirs accumulés depuis des millénaires. Mais si Weid ou eidos vous semblent trop rébarbatifs, rien ne vous empêche d'utiliser comme nous l'avons indiqué dans le préambule le mot Truc. L'essentiel est que nous nous accordions sur la signification.
Comment caractériser plus précisément les eidos ?
Disons tout d'abord qu'ils sont en quelque sorte les atomes de notre ontologie, ce qui signifie littéralement qu'ils sont insécables. Autrement dit, un eidos n'est pas constitué d'objets plus élémentaires, et il est impossible de le disséquer pour voir de quoi il est fait à l'intérieur. La raison qui justifie cette position est simple. Lorsque vous regardez une de vos pensées, qui sont évidemment des cas particuliers d'eidos, vous en percevez d'emblée la signification globale. Les détails de cette pensée ne se révèlent que si vous les forcez à le faire par un raisonnement. Mais vous vous engagez alors dans un travail de création de nouveaux eidos. Prenez " ce livre " que vous êtes en train de lire. Par " ce livre ", vous comprenez immédiatement de quoi il s'agit, et ce " de quoi il s'agit " est un et indivisible dans votre esprit, du moins tant que vous ne cherchez pas intentionnellement à le disséquer. C'est une " bulle de pensée ", un eidos.
Ce qui se rapprocherait le plus d'une définition d'un eidos serait de dire qu'il est " pure signification ". " Signification ", parce que c'est ce qu'il y a de plus immatériel, de plus insaisissable, et en même temps de plus important parce que c'est la seule chose qui soit accessible à notre compréhension, la seule qui compte en définitive.
Considérez à nouveau ce livre. Tout ce que vous savez de son existence se ramène aux perceptions que vous en avez : vos mains qui le tiennent, vos yeux qui le voient. Pourtant, vous en conviendrez aisément, le livre ne se réduit pas à ces sensations. Il n'est pas non plus dans la matière qui le constitue. Quelques taches d'encre sur du papier ne font pas " ce livre " qui traite de la Weid et que vous êtes en train de lire. D'ailleurs cette matière n'est pas aussi permanente qu'elle ne parait. Les atomes et les molécules se transforment sans cesse. Vous-mêmes vous transformez continuellement, ce qui fait que " ce livre " ne se réduit pas non plus à un certain état d'excitation de quelques uns de vos neurones. Où est-il alors ? Dans les mots peut-être ? Non plus. Donnez-les à quelqu'un qui ne lit que le chinois, ou bien à un ordinateur, et vous verrez qu'ils ne comprendront rien. Demain vous ne serez plus le même, demain la matière même qui fait l'objet que vous appelez livre aura changé. Demain pourtant vous reprendrez la lecture du même livre ! Cet impalpable qui subsiste après que vous ayez éliminé tout ce qu'il y a d'insignifiant, c'est justement la signification.
Pour caractériser plus complètement un eidos, nous ajoutons l'adjectif " pur " et parlons de " pure signification " afin d'insister sur le fait qu'il n'a pas besoin de support matériel pour exister. " Ce livre ", tels que vous voyez ces mots imprimés, est le support matériel de la signification que nous venons d'évoquer. Mais son existence en tant qu'eidos n'est pas dépendante de l'existence de ce support. Nous verrons d'ailleurs que la matière n'est elle-même qu'un assemblage d'eidos, autrement dit qu'elle est immatérielle ! Vous voilà en plein dans le Truc. Alors ne forcez pas, laissez glisser
Signification renvoie à sens, c'est-à-dire à direction. En termes plus savants, un eidos possède une entéléchie, c'est-à-dire une tendance à se transformer pour atteindre la perfection, l'achèvement. Prenons un exemple, certes quelque peu éloigné du strict domaine des idées, mais qui pour le moment suffira pour saisir ce point. Une espèce animale, disons une vache, possède une certaine capacité évolutive. Vous pouvez obtenir des vaches qui donnent plus de lait, ou plus de viande, chacune de ces formes constituant une sorte de point d'achèvement de la forme initiale. Point d'achèvement car pour aller vers autre chose, par exemple voler dans les airs, un véritable saut créatif et non plus une simple transformation est exigé. Mais alors ce n'est plus une vache que vous avez !
Voilà tout ce que nous pouvons dire pour l'instant à propos des eidos. Cela vous laissera peut-être sur votre faim. Il y a en fait une raison profonde qui nous interdit d'aller plus loin. C'est tout simplement que les eidos font partie des éléments premiers de notre ontologie. Si nous pouvions les définir précisément, alors ce ne seraient plus eux mais les termes servant à les définir qui seraient premiers. Or nous savons qu'il ne peut rien y avoir d'autre à la base d'une métaphysique. C'est également une autre justification au caractère insécable des eidos.
Remarquez que la science aujourd'hui se heurte à une difficulté du même ordre. Pour elle, l'énergie est première, et de ce fait, il lui est impossible d'en donner une définition précise. Tout ce qu'elle peut faire, c'est essayer de la caractériser par ses effets, disant par exemple que l'énergie est la faculté de fournir un travail. Donc pas plus qu'il n'est possible de définir l'énergie en elle-même dans le cadre du Mécanisme, il n'est possible de définir complètement les eidos dans le cadre de notre métaphysique. C'est en les faisant travailler qu'on les voit émerger, ce qui nous amène au Principe Moteur.
Quand nous avons fait notre inventaire à l'issue de la première partie, vous vous souvenez qu'il ne restait plus que six règles, parmi lesquelles la troisième affirmait la transformation des idées (des eidos), et la quatrième que cette transformations dépendait d'autres idées (d'autres eidos). Un eidos ne doit donc pas se concevoir comme une entité isolée, stable et permanente. Il est au contraire pris dans une continuelle dynamique de transformation, laquelle s'effectue nécessairement sous l'influence d'autres eidos.
La Weid est donc fondamentalement dynamique, au contraire du monde de Platon chez qui les Idées sont des entités immuables. D'une certaine manière, un eidos n'existe que dans la mesure où il se transforme. Notez dès à présent la difficulté qu'il y a à exprimer des notions nouvelles avec des mots anciens puisque, d'après le dictionnaire, " exister " renvoie à " être en réalité, durer, subsister ". Il faudrait donc plutôt dire qu'il y a création continuelle d'eidos nouveaux à partir des eidos existants, lesquels disparaissent dans l'opération. C'est le Principe Moteur qui est responsable de cette dynamique. Il est en quelque sorte le grand mécanisme d'enchaînement de causes et d'effets qui anime l'univers. Même si son action est une et indivise, il ne peut être saisi correctement par la raison qu'en le scindant en deux. Nous nommons Cause Unissante et Cause Séparante ses deux aspects indissociables.
Illustrons tout de suite ce processus de création eidique à l'aide d'une métaphore. Prenez un homme et une femme. Dans un premier temps ils s'unissent. Dans un second temps, trois entités nouvelles apparaissent, se séparent dirons-nous : un père, qui ressemble à s'y méprendre à l'homme du départ ; une mère, qui ressemble également beaucoup à la femme du départ mais qui est notablement transformée par le processus ; un enfant, qui est un être entièrement nouveau. Insistons bien sur le fait qu'il ne s'agit que d'une métaphore servant à illustrer l'aspect créateur de la Weid. En aucun cas la Cause Unissante et la Cause Séparante ne s'appliquent à un homme et une femme tels que nous les concevons d'ordinaire. Elles n'agissent que sur des eidos, et pour le moment, nous ne sommes pas en mesure de dire ce que sont eidiquement un homme et une femme. D'autre part, il faut se garder des transpositions quelque peu hâtives qui nous conduiraient à penser l'union et la séparation en termes d'espace, de sorte qu'union voudrait dire collage ou assemblage, et séparation voudrait dire coupure ou démontage. Il faut toujours penser à la Weid en-dehors de tout espace, lequel nous le savons n'est qu'une construction, c'est-à-dire en dernier ressort un ensemble d'eidos. IL FAUT LA PENSER COMME UNE PENSEE. Alors la métaphore reprend son sens. Dans la mesure où nous prenons les mots seulement pour ce qu'ils sont, à savoir des significations conventionnelles que nous nous donnons, et pas pour les objets qu'ils sont sensés représentés en-dehors de nous, dont l'existence d'ailleurs n'est pas assurée, alors nous avons des eidos sur lesquels peuvent s'appliquer les causes. Lorsque dans notre esprit nous unissons les significations " homme " et " femme ", nous engendrons trois nouvelles significations qui sont " père ", " mère ", et " enfant ". Finalement nous ne faisons là que constater que notre pensée obéit aux lois de la Weid, ce qui évidemment n'a rien de surprenant.
Unir-séparer-unir-séparer-unir-séparer tel est le moteur de la Weid. Des eidos s'unissent, se dissolvent, et de nouveaux apparaissent qui sont héritiers des premiers.
Cette incessante destruction-recréation peut surprendre tant elle est éloignée du réalisme naïf qui met plutôt l'accent sur la stabilité des formes. Plusieurs remarques peuvent être faites à ce propos. La première nous vient de la neurologie, dont les recherches les plus récentes sur la mémoire tendent à montrer que nos souvenirs ne sont pas des objets stockés de manière stable et permanente comme dans une mémoire d'ordinateur, mais qu'au contraire ils sont sans cesse reconstruits (1). La seconde remarque nous vient de la mythologie, qui nous offre d'innombrables exemples de divinités au caractère ambivalent, à la fois créateur et destructeur, comme Shiva en Inde (2). Cela va de pair avec le fait que de très nombreuses divinités primordiales sont androgynes. Remarquons encore que notre façon de voir rejoint ce que disent toutes les traditions lorsqu'elles évoquent la nature essentiellement vibratoire de la trame de l'univers. A condition bien sûr d'entendre par vibration cette pulsation incessante d'union-séparation d'eidos représentée sur la figure 8, et non pas la propagation d'une onde au sens habituel, qui est bien éloignée de la signification, sans compter les difficultés venant du fait que pour exister il lui faut le support d'un espace-temps a priori.
Mais qu'est-ce qui précisément pousse deux, trois eidos, ou un nombre quelconque, à s'unir et à se séparer ?
Envisageons tout d'abord l'action de la Cause Séparante, en prenant une nouvelle métaphore. Lorsqu'une femme attend un enfant, c'est une situation où deux sont fusionnés en un, la mère et le foetus. Vient le moment où, compte tenu de l'appartenance de la femme à l'espèce humaine et de diverses circonstances (le stress, le climat, les médicaments, etc.), l'enfant et la mère doivent se séparer. C'est la naissance. La Cause Séparante agit exactement de la même manière sur des eidos. Il arrive tout simplement un moment où la séparation DOIT se produire, c'est-à-dire où les eidos nouveaux doivent venir à l'existence. A cet instant très particulier, nous disons que la situation est SATUREE.
Nous aimerions bien sûr aller plus loin et trouver comment la Cause Séparante " sait " que la situation est parvenue à ce point de saturation pour déclencher la séparation. La seule réponse possible à ce stade est qu'elle " sait " parce qu'elle est ce qu'elle est. Il n'y a rien de plus à dire pour le moment car nous avons ici encore affaire à un élément premier de notre ontologie. La séparation doit se produire lorsqu'il est dans la nature des choses qu'elle se produise. Un point c'est tout. Il existera peut-être un jour une science weidique dont l'objet sera de préciser au cas par cas le contenu des eidos et la manière dont ils s'unissent et se séparent. Mais pour le moment nous n'en sommes qu'à une prise de contact avec les principes qui régissent la Weid.
Comment agit quant à elle la Cause Unissante ? Nous disons que des eidos sont liés par la Cause Unissante s'ils sont issus d'une même situation par action de la Cause Séparante. Ce renvoi dos à dos des deux Causes explique pourquoi nous devons les considérer comme inséparables, pourquoi aussi il faut n'y voir qu'un artifice permettant à notre raison de saisir un Principe Moteur qui dans son action est Un.
Pour être plus concrets, reprenons l'exemple de l'homme et de la femme qui s'unissent pour donner un père, une mère, et un enfant. Et bien, la Cause Unissante stipule simplement que les trois eidos " père ", " mère " et " enfant " sont liés parce qu'ils ont été engendrés simultanément. La Cause Unissante est donc en quelque sorte la mémoire des liens de parenté entre eidos. Elle remet ensemble ceux qui sont nés ensemble pour que se poursuive cette histoire qui n'a pas de fin. Elle " sait " les liens qui existent parce qu'elle est ce qu'elle est. Comme précédemment, nous ne pouvons en dire plus car il s'agit encore d'un élément premier de notre ontologie. Rassurez-vous, le faible nombre d'éléments constitutifs de la Weid fait que nous n'aurons bientôt plus à employer des formules de ce genre. Une fois les bases acquises, ce qui est en vérité beaucoup plus simple à faire qu'à exprimer, vous verrez que ce sont des outils très faciles à utiliser.
Vous vous doutez que dans les détails les choses sont parfois un peu plus compliquées. Pour ceux que cela intéresse, nous donnons dans l'annexe 1 quelques précisions supplémentaires. Mais pour l'essentiel, retenez cette idée simple qui est le moteur de la Weid : unir-séparer-unir-séparer L'unité et la dualité enfin réconciliées.
Dans son fonctionnement, le Principe Moteur est un et indivisible. Son partage en deux Causes n'est donc, rappelons-le, qu'un artifice permettant à notre raison d'appréhender le processus. Mais, ayant posé ces deux éléments, nous sommes maintenant obligés d'établir entre eux la jonction. Pour cela nous devons introduire une notion nouvelle que nous appelons la LYSE. C'est une sorte d'état " suspendu " où coexistent de façon virtuelle les formes anciennes et les formes nouvelles. Pour mieux comprendre, revenons à l'origine du terme. Lyse, que nous retrouvons par exemple dans analyse et dans catalyse, signifie en grec dissolution. Le mot est aussi employé en biologie, dans un sens qui correspond tout à fait à celui que nous voulons lui donner. Au cours du processus de métamorphose d'une chenille en un papillon, il existe à un moment donné un état très particulier, appelé justement lyse, où l'animal est réduit à une bouillie. La seule chose visible est une sorte de liquide, dans lequel nous n'apercevons plus la défunte chenille et pas encore le futur papillon. Pourtant les deux formes sont bien présentes de façon virtuelle dans cette bouillie, puisque le papillon va naître, qui est descendant de cette chenille. Dans la lyse weidique, vous avez de même présence simultanée mais virtuelle des eidos anciens et des eidos à venir. Ceci est utile pour comprendre d'une part l'action du Principe Directeur que nous verrons plus loin, et d'autre part la conscience. Celle-ci est dans l'acte même de séparation, mais dans cette " épaisseur " où l'eidos nouveau coexiste avec les autres issus de la même situation ainsi qu'avec ses parents. Car c'est bien la caractéristique fondamentale d'une forme consciente d'exister par opposition aux autres et en continuité avec une forme antérieure. Il est important d'insister sur le fait que LA CONSCIENCE N'EST PAS UN OBJET, UNE FORME, en d'autres termes UN EIDOS, MAIS UN PROCESSUS, UN ACTE, UN ACTE DE SEPARATION. Toutefois, comme cet acte s'exerce toujours sur quelque chose, à savoir les eidos d'une même situation qui se séparent ensemble, il n'est pas complètement faux de dire que conscience et existence sont d'une certaine manière synonymes. Un eidos n'existe en tant qu'entité distincte qu'au moment où agit la Cause Séparante, moment précisément où se produit le flash de conscience. Dans notre ontologie, exister équivaut donc à la conscience d'exister.
Ajoutons que lorsque la Cause Séparante produit la sortie de la lyse, les eidos anciens disparaissent totalement et irrémédiablement. C'est en cela que nous disons que la Weid n'a pas une nature accumulative. Elle n'est pas une gigantesque mémoire accumulant tout ce qui se passe, mais un continuel processus de destruction et de recréation. Mais si les eidos anciens sont perdus, une partie de leur signification subsiste dans les eidos nouveaux qu'ils ont contribué à engendrer. Il y a donc tout de même une sorte de mémoire, bien qu'elle ne ressemble à rien de connu.
Tout ça peut vous sembler encore confus ? Alors le mieux est d'essayer de ressentir les choses plutôt que de les comprendre, et pour ce faire de vous livrer à une petite expérience. Fermez les yeux, et inspirez lentement en pensant à un être cher. En fin d'inspiration, bloquez votre souffle, et ressentez comme votre individualité se dissout pour fusionner avec cet être aimé. Vous êtes comme dans une lyse. Restez un instant dans cet état suspendu, comme dans des limbes. A présent expirez lentement et rouvrez les yeux. Sentez comme vous sortez de cet état d'indifférenciation. En vous séparant de l'idée de l'être cher, vous reprenez conscience de votre individualité. Vous venez d'expérimenter successivement la Cause Unissante et la Cause séparante. Recommencez plusieurs fois et vous aurez ainsi une petite idée de cette pulsation fondamentale qui anime l'univers : inspirer-expirer, unir-séparer. Tout se passe toujours comme cela, depuis la nuit des temps : des eidos, c'est-à-dire de pures significations, s'unissent, et se dissolvent dans cette union pour que de nouveaux eidos, de nouvelles significations, naissent, se séparent, héritiers des premiers. Et cela recommence à partir de ces eidos qui sont frères, sans arrêt, en-dehors du temps bien sûr puisqu'il n'y a nulle horloge pour battre la mesure de cette danse cosmique.
Supposez que la Weid ne soit faite que d'eidos et du Principe Moteur. Que se passerait-il ? Rien, ou bien n'importe quoi ! Car ce serait un peu comme si vous aviez de la laine et des aiguilles, mais qu'il manquait une raison de tricoter, qu'il manquait aussi l'énergie pour mouvoir les aiguilles, et encore la technique du tricot ! Bref, ce serait comme s'il manquait la tricoteuse. Telles sont les diverses raisons d'être du Principe Directeur. Plus précisément :
Sa première fonction est de garantir l'existence même de la transformation eidique, autrement dit d'être une force de changement. Car il faut bien comprendre que le Principe Moteur est d'une certaine manière neutre. Comme le moteur d'une automobile, il ne peut pas tourner sans carburant. Les deux Causes sont certes un très bon moteur, mais elles ne réalisent la transformation eidique qu'à condition que les eidos aient une raison de se transformer, et ceci ne peut leur être donné que par un autre facteur, le Principe Directeur en l'occurrence. C'est l'énergie du moteur.
Le second rôle dévolu à ce principe est de garantir la cohérence du processus de genèse eidique. Quand une chenille se met en lyse, c'est toujours un papillon qui en sort, et pas une fleur, un chat, ou un caillou. Ou, pour reprendre la métaphore de l'automobile, quand vous tournez le volant à droite, cela fait toujours tourner le véhicule à droite, et non pas parfois à droite et parfois à gauche. Le Principe Directeur assure donc la continuité des lois métaphysiques, condition sine qua non pour édifier une physique. En d'autres termes, il permet aux eidos d'exprimer leur propre nature.
Notre automobile fonctionne bien ; elle a un moteur qui tourne rond et du carburant ; ne reste donc plus qu'à décider d'une destination. C'est la troisième fonction du Principe Directeur de garantir que tout ça mène quelque part. Mais pour nous, êtres humains, ce résultat ne devient apparent qu'en prenant du recul. Alors, vu d'une certaine distance, nous constatons bien que l'univers a d'une certaine manière une finalité puisqu'il semble posséder un ordre et une stabilité. Toutefois cette finalité doit se concevoir avec subtilité. Elle ne réside pas en effet dans l'existence préétablie d'une fin, au sens où tous ce qui va survenir est déjà écrit, mais dans une forme d'intention qui oriente chaque acte élémentaire de création d'eidos. Et comme c'est la même intention qui est contenue dans chaque eidos, c'est tout l'univers qui se voit doter d'une finalité. Pour la justifier, il suffit finalement de constater qu'il existe quelque chose plutôt que rien.
La question qui se pose à présent est de savoir quelle est la nature d'un Principe Directeur satisfaisant à ces trois exigences : 1. être une force de changement, une énergie, un élan ; 2. garantir la cohérence de ce processus de transformation, c'est-à-dire faire en sorte que les eidos soient ce qu'ils doivent être ; 3. lui donner une direction, c'est-à-dire aller vers quelque chose de nouveau, créer. Nous pouvons même nous demander si un seul principe suffit, ou bien s'il faut en envisager plusieurs étant donnée la diversité des rôles à tenir.
Pour tenter de répondre à ces questions, partons de la remarque suivante, qui n'a disons-le d'emblée qu'une valeur heuristique : ce que nous exigeons de notre métaphysique n'est pas très différent de ce que nous attendons du comportement d'un être rationnel, à savoir cohérence de ses actions, continuité dans sa ligne de conduite, et finalité. Cela suggère qu'elle doit posséder quelque chose d'analogue à l'intention.
Une intention est bien différente d'un simple désir en cela qu'elle est indissociable de l'acte. Elle ne persiste que tant que dure celui-ci. S'il n'y a pas accomplissement, elle disparaît, ou bien se transforme alors en désir. Si par exemple vous avez l'intention de partir en voyage, celle-ci s'accomplit dès l'instant où vous vous lancez dans les préparatifs de ce voyage. Mais si vous ne faites rien, c'est que vous n'avez pas une réelle intention, seulement un vague désir. Ce lien qui existe entre l'intention et l'acte répond à la première de nos exigences, l'existence même de la transformation eidique.
Pour voir ce qu'il en est des deux autres exigences auxquelles doit satisfaire le Principe Directeur, continuons avec notre exemple, en le précisant : " J'ai l'intention d'aller à Nice ". Qu'il y ait un bouchon sur la route ou une grève à la SNCF modifiera peut-être la forme de mon action, mais n'empêchera nullement l'accomplissement de mon intention. Autrement dit, la continuité de l'intention permet de surmonter les vicissitudes inhérentes à l'action. L'intention a donc, pourrions-nous dire, une influence à la fois locale et globale : locale parce que chacun des actes, tout en ayant son autonomie, existe par rapport à elle ; globale parce qu'elle donne son sens à l'ensemble. Dans l'intention se trouve donc à la fois l'idée de finalité (ici parvenir à Nice) et celle de cohérence (car il ne s'agit pas de faire deux pas en avant et trois pas en arrière).
Nous tenons là une partie de la réponse que nous cherchions : un seul Principe Directeur doit suffire pour satisfaire aux trois exigences, un Principe Directeur ayant " quelque chose " de l'intention. Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines, car, à première vue, deux points semblent tout de même éloigner le Principe Directeur d'une intention.
Le premier vient du fait qu'une intention est un état mental, une catégorie de l'intentionnalité. Elle exige donc pour exister la présence d'un agent, humain ou non, capable de former de tels états. Autrement dit, si le Principe Directeur est bien une intention, quel est l'agent qui la conçoit, ce qu'en termes traditionnels on appellerait un dieu ? Il est évident qu'un tel agent extérieur n'est pas nécessaire puisque nous savons que la Weid fonctionne très bien avec seulement des eidos et deux principes. Maintenant, si nous constatons que les agents eux-mêmes sont à l'intérieur de la Weid, qu'ils sont des assemblages d'eidos, ou plus précisément des agrégats comme nous les nommerons au chapitre suivant, alors nous pouvons dire que d'une certaine manière intention et agents sont confondus. Voilà pourquoi nous pouvons conserver l'idée que le Principe Directeur est une intention, même s'il n'y a pas d'agent extérieur pour la concevoir. Ajoutons que si cela peut aider à la compréhension, on peut appeler le Principe Directeur dieu, et dire qu'il se trouve au sein même de sa création, immanent. Mais comme en même temps il est invisible à nos yeux puisque nous ne voyons que des eidos, il est également transcendant.
L'autre difficulté qui pourrait retenir d'assimiler complètement le Principe Directeur à une intention vient du fait qu'à l'idée d'intention est généralement associée celle de plan d'action. Cela veut dire que, dans la mesure où l'intention est inséparable de l'action, elle doit inclure une certaine connaissance des moyens permettant de l'accomplir. Si par exemple vous avez l'intention de lever le bras, vous savez ce qu'il vous faut faire pour obtenir ce résultat. Nous sommes forcés de convenir que le Principe Directeur n'est en rien un plan d'action, pas plus qu'il n'est semblable à une graine qui contiendrait en germe un arbre entier, car cela impliquerait que tout est déjà écrit, ce qui nierait l'aspect créateur de la Weid, tout à fait fondamental. Mais comme dans le cas précédent, cette objection ne tient qu'à moitié. Si nous prenons plutôt un exemple comme " J'ai l'intention d'aller à Nice ", nous constatons que loin d'exiger un plan précis, l'intention sert en fait de guide permanent à l'action. Car je peux très bien arriver à Nice sans avoir planifié aucun de mes actes. C'est l'aspect local-global évoqué plus haut : il suffit de laisser l'intention modeler chaque acte élémentaire, et la succession de ces actes permet d'atteindre l'objectif. C'est un peu ce qui se passe lorsque des termites construisent leur nid. Chacune semble vaquer à sa tâche indépendamment des autres. Mais comme tous les actes élémentaires sont guidés par la même intention, le résultat obtenu est finalement un nid de termites (3). En conclusion, nous pouvons très bien avoir une intention et aucun plan d'action concret pour la réaliser.
Ce qui ressort de cette discussion est que les arguments qui tendent à éloigner le Principe Directeur de l'intention ne sont pas décisifs face à ceux qui l'en rapprochent. Pour prendre en compte tout de même l'inexistence d'un agent extérieur et l'absence de plan d'action, nous préciserons simplement que le PRINCIPE DIRECTEUR EST " PURE INTENTION ".
Maintenant que nous savons que le Principe Directeur est pure intention, il nous faut essayer de découvrir quel est son contenu, car il ne fait pas de doute qu'il en a un puisque l'univers n'est pas rien. Pour le cerner, regardons-le tout simplement travailler, c'est-à-dire voyons comment il agit pour transformer un eidos.
Prenons par exemple comme eidos l'idée que vous vous faites du " père ". Tout au long de votre existence, jour après jour, sa signification n'a cessé de changer. Il y a celle que vous lui donniez étant enfant, puis étant adolescent, puis devenus adulte. Cette signification s'est encore modifiée lorsque vous êtes à votre tour devenus père (ou mère). Derrière tous ces changements, il y a pourtant une continuité de sens, que révèle l'emploi du même terme. Ce que cela suggère pour le contenu de notre Principe Directeur, c'est que celui-ci régit la continuité et le changement.
Essayons à présent de traduire en termes plus rigoureux ces idées de continuité et de changement.
La première notion essentielle semble devoir être celle de perfection, dans son plus pur sens étymologique d'achèvement et sans aucun jugement de valeur. Le Principe Directeur est ainsi ce qui dote chaque eidos de cette entéléchie qui le pousse à devenir plus que ce qu'il est, mais dans les limites de ce qu'il est, bref d'aller au bout de lui-même. En d'autres termes, il est dispensateur d'énergie. Nous nommons Elan de Perfection cette première composante du Principe Directeur.
L'autre notion essentielle est celle de création, exact pendant de l'achèvement. Par " création ", il faut ici entendre l'apparition de significations nouvelles. Et si nous voulons trouver des exemples, pas besoin de chercher vers des extrêmes comme l'évolution des espèces ou l'art. Il nous suffit encore une fois d'examiner ce qui nous est le plus proche, à savoir le fonctionnement de notre pensée. Prenez le mot " signification ". Nul doute que depuis que vous avez commencé la lecture de cet ouvrage, ce mot n'a pas pour vous le même sens qu'avant, même si vous pourriez éprouver quelques difficultés à formuler précisément en quoi il est différent. Ce n'est plus du tout la même " bulle de pensée ", le même eidos. Et cette pensée n'est évidemment pas un simple aboutissement de celle que vous aviez auparavant, parce qu'elle recèle indéniablement quelque chose de nouveau. En d'autres termes, la " bulle de pensée " " signification " que avez maintenant est le résultat de l'interaction entre votre conception antérieure de la signification, et un certain nombre de notions que nous avons présentées, mais auxquelles VOUS avez donné sens. De cette interaction dans votre esprit est sorti le nouveau. Ce caractère très général de la création est une des raisons qui nous incitent à la placer au coeur même de la transformation eidique, c'est-à-dire dans le Principe Directeur. C'est sa seconde composante, que nous nommons Elan de Création. Ainsi, tandis que l'Elan de Perfection pousse un eidos à être au maximum ce qu'il est, mais dans les limites de ce qu'il est, à être garant de la continuité, l'Elan de Création le pousse à être plus que ce qu'il est, à se dépasser, à changer. Il est dispensateur de vie.
Il est important de comprendre que ces deux élans n'agissent pas séparément, mais interviennent simultanément. Cela explique deux choses : d'une part que le monde n'est pas chaotique, parce que la création ne jaillit pas de rien mais se fait toujours à partir de l'existant grâce à l'Elan de Perfection ; d'autre part que la dynamique du monde ne s'arrête jamais, parce que chaque fois qu'on peut croire le point d'achèvement atteint, l'Elan de Création relance le mouvement. D'une certaine manière, il n'y a jamais d'achèvement, ce processus est éternel. Ou, cela revient au même, la perfection, l'achèvement, sont atteints à chaque instant, parce que les eidos ne sont autres que ce qu'ils sont ; mais l'instant d'après, il y a une autre perfection due à l'Elan de Création.
Nous savons ce que sont les eidos. Nous savons comment agissent sur eux les deux Causes. Nous voudrions maintenant savoir comment le Principe Directeur s'insère dans cette organisation.
Il est clair que de par sa nature, ce principe est très différent du Principe Moteur, et qu'il a plutôt des affinités avec les eidos. Comme eux en effet il possède une signification, et comme eux il posséderait la propriété de s'unir à des eidos pour les modifier, si nous concevions son action comme l'apport systématique de la signification " pure intention de perfection et de création " à toute situation en lyse. Pour autant, il ne saurait être question d'en faire un simple eidos, parce que d'une part le Principe Directeur est immuable tandis que les eidos n'existent que dans la transformation, que d'autre part nous serions bien en peine d'expliquer pourquoi cet eidos serait justiciable d'un traitement particulier, et qu'enfin sa signification s'interprète mieux comme une impulsion, une énergie, une volonté, que comme une information à proprement parler.
Une façon élégante de s'en sortir consisterait à intégrer ce principe au coeur même des eidos. Chacun hériterait de ce " morceau de signification ", de la même manière que chacune de nos cellules hérite du bagage génétique complet de notre corps. Mais attention, il devrait être partie intégrante de la signification de l'eidos, qui resterait quoiqu'il arrive une brique élémentaire insécable. Le gênant là-dedans est que lorsque nous observons nos pensées, qui sont rappelons-le des eidos, nous ne voyons que cette pensée et rien d'autre.
Le Principe Directeur n'est donc ni réductible à un eidos, ni intégrable à l'intérieur même des eidos. Même si nous pouvons le cerner avec des mots comme Elan de Perfection et Elan de Création, il restera à jamais inaccessible. Il faut donc nous résoudre à en faire un élément irréductible, le troisième constituant de notre métaphysique avec les eidos et le Principe Moteur. Il intervient lors de la lyse, dans ce moment suspendu entre la fin de l'union et le début de la séparation où s'engendrent les nouveaux eidos à partir des anciens, un moment auquel nous n'avons évidemment jamais accès. Son action consiste à guider en quelque sorte la transformation eidique, de la même manière que les disques ou les tubes imaginaux guident l'assemblage des matériaux lors de la métamorphose d'une chenille.
En résumé, le Principe Directeur est une force, une énergie (ces deux mots étant pris ici plus comme l'entend le sens commun que la science), un élan, une pure intention, qui permet aux eidos à chaque fois qu'ils s'unissent et se séparent d'être ce qu'ils doivent être, et d'aller même au-delà. C'est ce qui fait que bon gré mal gré le monde nous apparaît à la fois stable et dynamique, ordonné et chaotique.
Nous avons essayé de construire un modèle d'univers qui respecte toutes les règles métaphysiques que nous nous étions donnés. Un univers complètement immatériel, divers, et en transformation incessante. Un univers où l'espace et le temps sont eux-mêmes des constructions. Un univers de sens qui se déploie dans un présent continuellement renouvelé. Un univers qui tout entier tient dans un Point sans dimension. Un univers où l'existence n'est qu'un éclair de conscience entre deux phases de dissolution.
Cet univers que nous avons appelé la Weid comprend seulement trois types d'objets. Des eidos, qui sont de pures significations. Ils existent seulement le temps d'un éclair parce qu'ils sont continuellement pris dans un processus de destruction et de recréation. Cette grande danse weidique est orchestrée par deux principes, immuables et indestructibles, mais invisibles et se manifestant seulement à travers leurs créations, les eidos. Le Principe Moteur est fait de deux éléments inséparables, la Cause Unissante et la Cause Séparante. Le Principe Directeur est une Pure Intention qui a pour contenu un Elan de Perfection et un Elan de Création.
Cette façon de présenter le fonctionnement de l'univers n'est qu'une parmi d'autres, celle qui convient le mieux à notre époque qui se veut rationnelle et scientifique. C'est une armature pratique autour de laquelle peuvent se greffer en fait des expériences très diverses, aussi bien intellectuelles que mystiques ou ésotériques. Car dans la réalité même de son fonctionnement, tout est imbriqué d'une manière indissociable.
La simplicité de la Weid fait sa richesse et sa fécondité. Tout est possible en effet dès l'instant où l'on ne se fixe a priori aucune limite (dans le Mécanisme au contraire, la donnée obligatoire d'un espace-temps impose dès le départ de très sévères contraintes). Toute la difficulté maintenant va être de retrouver la riche diversité des phénomènes que nous observons : la matière, l'espace, la vie, etc. C'est l'objet de la physique weidique.
La Weid résonnera en vous lorsque vous penserez : " Ah oui, je vois ce qu'ils veulent dire ". Pour arriver à provoquer ce flash de conscience, il faut qu'il y ait concordance entre des images que vous avez déjà en vous et celles que nous voulons évoquer. En d'autres termes, il doit y avoir association entre du connu et de l'inconnu pour que l'inconnu devienne connu. C'est pour cela que nous utiliserons deux métaphores qui donneront deux éclairages différents du même phénomène.
Le première s'appuie tout simplement sur le raisonnement que nous venons de tenir. Il est un fait que comme nous, les eidos connaissent leur flash de conscience. Celui-ci a lieu au moment de la séparation. Le mécanisme est difficile à décortiquer parce qu'il se fait presque instantanément. Pour le comprendre, il faut observer le film au ralenti. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi tenter de mettre des mots qui nous sont familiers, tout en sachant que nous ne pouvons plaquer sur le discours de deux eidos qui se séparent et s'unissent qu'un langage issu de notre propre prise de conscience. Ce n'est pas bien grave car l'essentiel pour l'instant est de comprendre le mécanisme.
Imaginons donc que deux eidos, en d'autres termes, deux bulles d'informations, de sens, ou de pensées, viennent de se séparer. L'instant d'avant ils ne faisaient qu'un. Maintenant ils sont deux, séparés l'un de l'autre. C'est alors qu'ils se regardent : " Tiens c'est toi, tiens c'est moi ". Bien que distincts, ils se reconnaissent, et cette reconnaissance est l'amorce d'une nouvelle union. Ils sont déjà unis ne serait-ce que par ce regard qui leur rappelle qu'ils sont nés ensemble, qu'ils possèdent des liens familiaux, une histoire commune. Ils peuvent donc entrer en résonance, et ce faisant s'unir à nouveau en fusionnant l'un dans l'autre. Peut-être y a-t-il déjà du plaisir dans l'union de deux eidos ? Quoiqu'il en soit, c'est pendant cette phase qu'intervient le Principe Directeur. Celui-ci n'est pas une baguette magique extérieure qui transforme la citrouille des eidos unis en carrosse. Il est déjà présent dans le processus de construction des eidos. Il est toujours là pour faire que quelque chose de nouveau surgisse de leur union, et que ce quelque chose soit héritier de l'ancien. C'est comme votre esprit qui vient de lire ces lignes. Vous avez raisonné et résonné pendant quelques minutes sur ces idées. Il y a eu séparation et union, parce que certains mots vous étaient familiers. A partir de là, quelque chose de nouveau s'est créé dans votre tête. Vous avez rejeté ou accepté l'idée. Mais cette idée que vous avez admise ou rejetée n'a plus rien à voir avec ce qu'il y avait avant dans votre tête, ni avec les idées que nous vous avons exposées. C'est quelque chose d'autre, du nouveau qui est né de la rencontre de nos deux groupes d'idées, c'est-à-dire d'eidos.
Cela se passe pour tout de la même manière. En surgissant, le nouveau se sépare, se reconnaît, se réunit, et l'histoire recommence ainsi sans discontinuer. Si vous relisez ces lignes demain, ce qui s'unira sera différent et ce qui en sortira également. Bien que les mots n'aient pas changé, vous, vous ne serez plus exactement le même, ne serait-ce que par le simple fait que vous aurez déjà lu une fois ces pages. En fait tout se détruit et se reconstruit en permanence. Dans cette opération, ce qui est détruit est irrémédiablement perdu au profit du nouveau qu'il a servi à engendrer. Cela veut donc dire que la Weid n'est pas une mémoire style banques de données dans laquelle on viendrait puiser des informations. Elle est tout autre chose. Un continuel présent qui contient en lui dans sa dernière union-séparation tout l'ancien d'une manière indiscernable, comme un enfant est à la fois héritier du père et de la mère, mais sans être ni le père ni la mère.
Maintenant, je vais vous présenter les choses d'une manière encore plus simple. Imaginez le Principe Directeur comme une tricoteuse, la Cause Séparante et la Cause Unissante comme deux aiguilles, et les eidoscomme les mailles d'un pull. La tricoteuse sait quel pull elle veut faire. Pour cela, elle emploie des aiguilles qui séparent et rassemblent la laine, dans un cliquetis qui correspond à la prise de conscience. Chacun de ces mouvements construit une maille du pull, un eidos donc. Et quand la tricoteuse revient plusieurs fois sur le même point, elle crée un relief, un grain de riz, comme un grain de matière. Puis elle poursuit son ouvrage. Cette tricoteuse, en fait personne ne la voit car elle est entièrement dans le pull qu'elle tricote. De même pour les deux aiguilles. Quant à nous qui faisons partie du pull comme tout le reste, nous ne pouvons apercevoir que les mailles, les eidos. Et encore, car ce pull là est très étrange, n'apparaissant jamais fini. C'est simplement notre conscience, qui en construisant la notion du temps, construit du même coup l'image complète du pull. Celui-ci en fait se reforme en permanence chaque fois que nous pensons à lui. Il surgit et disparaît, puis il resurgit pour mieux redisparaître. Mais il est à chaque fois un peu plus élaboré, car chaque fois que nous avons existé, pensé, nous avons construit une nouvelle maille.
Le Principe Directeur est la clé de tout le système. Il se manifeste dans le Principe Moteur, sous l'angle du mouvement, celui de séparation-union. Il se manifeste aussi dans les eidos, sous l'angle de la forme, de la représentation, du sens, manifestations multiples et chatoyantes qui construisent le monde, de la matière la plus solide à la pensée la plus abstraite. Si nous voulons atteindre l'essence des choses, il est donc nécessaire d'approcher au plus près la nature de cet énigmatique Principe Directeur qui se cache derrière tout. Que savons-nous déjà de lui ? Qu'il est Elan de Perfection et de Création. Dans notre compréhension des choses, élan rime avec mouvement, lancer, rythme, énergie, vibration. Il y a mille types de mouvements dans l'univers, celui du bras qui se lève, celui de la Terre autour du Soleil, de l'électron autour du proton. Pour ces types de mouvements, on a inventé des mots, des eidos, pour qualifier les forces qui leur donnent naissance. Ce sont autant de tentatives pour essayer de définir la nature profonde du quelque chose qu'on ne voit pas et qui fait bouger ce que l'on voit, à savoir le Principe Directeur. Il y a encore bien d'autres types de mouvements, qui ne sont plus cette fois des déplacements, mouvements de la pensée, mouvements de l'âme, élans du coeur, etc., pour lesquels chacun y va encore de sa petite explication. Toutes ces descriptions nous satisfont, même si elles ne sont que des créations de l'intelligence humaine. Elles nous conviennent car elles sont cohérentes et pratiques. Mais elles ne permettent pas de comprendre quelle est la cause première du mouvement, autrement dit pourquoi les choses changent au lieu de rester figées. C'est parce qu'à l'origine de tous ces changements, se trouve le Principe Directeur, la force qui meut l'univers sans avoir besoin que nous la nommions pour exister. Et nous humains, qui ne pouvons voir le Principe Directeur en tant que tel, sommes condamnés à inventer des mots, des eidos, pour qualifier cet Elan. On peut bien dire que c'est de l'énergie, ou des forces, ou Dieu, ou l'amour, ou n'importe quoi d'autre. Toutes ces définitions ne sont que des bulles de pensée que l'on choisit suivant le moment et le domaine d'application pour qualifier ce Principe. C'est comme si pour découvrir l'homme qui est masqué, on passait notre temps à lui rajouter de nouveaux masques sur le visage au lieu d'ôter celui qu'il porte déjà. Malheureusement, dans le cas du Principe Directeur, c'est la seule chose que nous puissions faire : nous ne le verrons jamais nu, sans masque. D'ailleurs c'est le sort de tous les êtres, de la pierre à l'homme, d'être ainsi condamnés à rêver le Principe, chacun selon ses possibilités et ses besoins.
Comment s'en sortir ? D'un coté nous savons que cela ne sert à rien d'inventer des eidos pour qualifier le Principe Directeur car sa nature véritable nous échappera toujours. De l'autre nous savons aussi que nous ne pouvons faire autrement car nous sommes bâtis pour créer de la pensée. Il ne reste qu'une solution, tirer partie de cette situation. Il nous suffirait peut-être d'accorder pour une fois nos violons sur une définition du Principe Directeur, qui même si elle ne sera jamais la vérité, sera notre vérité du moment, celle la plus utile aux hommes, à leur évolution, à leur bonheur. Mais repenser ainsi le Principe Directeur conduit à un changement complet de vision de société. La difficulté aujourd'hui est que chacun a son avis sur la question. C'est la version moderne de la tour de Babel, qui loin de nous apporter le bonheur, nous entraîne dans la confusion et la souffrance. Et pourtant, tôt ou tard, il faudra réaliser cet accord. C'est là que se trouve le point d'achèvement de l'homme, et sa véritable création. C'est là qu'il devient lui-même la manifestation du Principe Directeur qui est Elan de Perfection et de Création. Nous avons bien sûr la liberté de traîner en route et de refuser de comprendre. Que nous en ayons conscience ou non, le Principe Directeur continuera de toute façon à mouvoir le monde, perfectionnant et créant du sens. Malgré tout, nous le sentons là, derrière. De là la nostalgie de l'homme qui sent qu'il lui manque quelque chose. En fait il n'a rien perdu, il n'a simplement pas encore trouvé.
Une autre des grandes difficultés de la Weid est qu'il n'existe que du présent, et que tout est contenu dans un point sans dimension. En-dehors de la prise de tête intellectuelle qu'elle procure, cette façon de voir conduit à des applications pratiques. Elle permet entre autres de comprendre toute une famille de phénomènes classés aujourd'hui sous le vocable paranormal. Mais une chose est de comprendre intellectuellement cette notion de Point-Présent et une autre de la vivre. Seuls quelques initiés, toutes origines spirituelles confondues, en ont fait l'expérience. Pour la plupart d'entre nous, les choses ne se passent pas de cette manière : le temps s'écoule linéairement du passé au futur, et nous occupons une portion bien définie de l'espace dans lequel se trouvent des objets séparés. Entre cette idée et celle du Point-Présent, on a l'impression qu'on ne joue pas dans le même film. C'est normal. Le film que nous regardons, c'est celui que nous donne notre état de conscience ordinaire. Celui-ci fonctionne en fait en pointillés, chaque fois qu'il y a séparation. A partir de cette succession en pointillés de flashs de conscience, nous remplissons les vides et nous construisons l'idée d'un temps continu, et du même coup nous donnons de la permanence aux objets. Cette reconstruction est propre à chaque espèce.
Le fait que l'univers ne possède pas une grande horloge extérieure ne signifie pas qu'il n'y ait pas d'histoire. Au contraire même puisque tout se reconstruit en permanence. La Weid est en fait une succession de présents. Cette succession est irréversible. Elle se dirige toujours dans le sens d'eidos contenant de plus en plus d'information. En vérité, c'est là que se trouve l'origine profonde de l'irréversibilité du temps que les physiciens, comme chacun de nous, constatons.
1. Israël ROSENFIELD, L'invention de la mémoire, Eschel, 1989.
2.Mircéa ELIADE, Aspects du mythe, idées gallimard, 1963.
3. Michael TALBOT, Beyond the quantum, Bantam Books, 1987.
Entéléchie: terme créé par Aristote pour désigner l'état d'une chose qui a atteint sa perfection, son achèvement. Repris par Leibniz, il sert à désigner non plus l'état final mais le mouvement vers la perfection, l'achèvement. Nous employons le mot entéléchie dans ce second sens.
Intentionnalité: caractéristique d'un état mental d'avoir un objet, d'être une " conscience de quelque chose " (Husserl). Si j'ai une croyance, c'est une croyance que ceci ou cela. Si j'ai peur, c'est une peur de quelque chose. Tous les états mentaux ne relèvent pas de l'intentionnalité. Par exemple certaines joies ou peines peuvent exister par elles-mêmes, indépendamment de ce qui se passe dans le monde extérieur. La croyance, le désir et l'intention sont généralement considérées comme les catégories primordiales et irréductibles de l'intentionnalité, tous les autres états intentionnels s'y ramenant comme combinaisons plus ou moins complexes.