Nos pensées créent le monde

Martine Castello et Vahé Zartarian


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QUATRIEME PARTIE

Où l'on se lance dans une grande aventure




CHAPITRE 10

QUESTIONS/REPONSES





Q : Les théories modernes du chaos disent que l'ordre émerge du désordre. Faut-il donc voir dans le chaos la source de toute création ?

R : Pour bien comprendre ce point, livrons-nous à une petite comparaison entre les différentes thèses qui s'affrontent à propos du processus de création à l'oeuvre dans l'univers. Quatre sont en présence. La première nie carrément la création, considérant que tout existe de toute éternité. L'accent est mis sur la stabilité, et le changement n'est qu'un épiphénomène. C'est le cas par exemple du monde de Platon, chez qui il n'y a rien à inventer, seulement à découvrir en puisant dans un fond d'Idées éternelles. Toute l'évolution de la pensée depuis 2500 ans, en particulier dans les sciences, nous oblige à refuser ce point de vue. Le second n'est pas tellement différent du précédent. Il pose un acte de création initial, intentionnel (divin) ou non (comme dans la théorie cosmologique du Big-Bang qui fait jaillir toute la matière d'une singularité), à la suite de quoi tout se déroule d'une manière déterminée. C'est le point de vue mécaniste pour qui il y a continuité d'une matière primordiale, le changement se ramenant alors à des mouvements de cette matière. Ce modèle étant fort insuffisant pour rendre compte de l'apparition de formes, formes en tous genres, nouvelles espèces vivantes ou nouvelles idées, les scientifiques ont cherché plus loin. Avec la théorie des structures dissipatives et la théorie du chaos, ils ont cru trouver. Elles donnent un troisième point de vue sur la création : l'ordre peut dans certaines conditions émerger spontanément du chaos. Par exemple, lorsque vous faites chauffer de l'eau, vous voyez apparaître, après une période de désordre, une phase ordonnée sous forme de cellules de convections hexagonales appelées cellules de Bénard. Certes, au niveau de la perception, il y a bien un ordre macroscopique nouveau. Mais, au niveau de la réalité sous-jacente, il n'y a rien de fondamentalement changé : c'est toujours la même matière (l'eau) obéissant aux mêmes lois. Elle manifeste seulement ce qu'elle est, ni plus ni moins.

Ce qu'il y a de gênant dans ces trois explications, c'est qu'elles passent à côté de l'essentiel, qui est l'omniprésence de la création dans la nature. Que ce soient dans les formes des êtres vivants, dans leurs comportements, que ce soient dans nos pensées, continuellement nous observons le jaillissement du nouveau. Et ce nouveau se bâtit toujours sur l'ancien. Il sort d'une lyse, mais non pas du désordre et du chaos puisqu'il exhibe généralement une finalité. Ce n'est pas pour rien qu'une orchidée s'invente une ressemblance avec une guêpe : c'est pour qu'elle vienne lui rendre visite, et la féconde avec du pollen provenant d'une autre orchidée. Tout ceci nous interdit de faire de la création un événement unique et mystérieux précisément localisé dans le temps, ni un épiphénomène, un simple produit des agitations ordinaires de la matière. La création doit être placée au coeur même de tout processus de transformation. C'est le dernier point de vue sur la création, le point de vue weidique, pour qui l'univers est finalement une continuelle recréation.

Profitons-en pour introduire une petite algèbre symbolique, que nous commencerons par illustrer d'une métaphore. Prenez un couple formé d'un homme et d'une femme. Trois situations sont envisageables. La première est appelée couple fusionnel, parce que l'un des deux perd complètement son identité et se dissout dans la personnalité de l'autre : les deux ne forment qu'un. La seconde situation est celle du couple ordinaire, où en fait chacun reste exactement ce qu'il est, et ne fait que vivre à côté de l'autre. La troisième situation est celle du couple accompli, où chacun s'épanouit grâce à l'autre, ce qui fait jaillir quelque chose de nouveau et de plus grand.

Transposée dans la Weid, nous obtenons trois modes de genèse eidique, que nous appellerons respectivement loi du 1, loi du 2, et loi du 3.

La loi du 1 s'écrit 1+1=1, et elle exprime l'acte de création d'un eidos nouveau à partir de deux eidos, lesquels disparaissent complètement dans l'opération. Par exemple dans la Weid il n'y a plus ni matière ni esprit. Les deux notions sont dépassées, englobées, par celle d'eidos.

La loi du 2 s'écrit 1+1=2. Elle n'est pas tant créatrice de significations nouvelles que reproductrice de significations existantes. Par exemple le bien donne naissance au mal, le mal donne naissance au bien, et tourne sans cesse la roue qui renforce à la fois le bien et le mal.

La loi du 3 s'écrit 1+1=3. Elle est créatrice, plus précisément constructrice parce qu'elle conserve quelque chose de l'ancien tout en le renouvelant. Prenons la continuité et le changement. Trois significations nouvelles s'en dégagent : un Elan de Perfection garant de la continuité, un Elan de Création qui pousse au renouvellement, et un Principe Directeur qui les réconcilie.




Q : Dans la première et dans la seconde partie, vous avez plusieurs fois insisté sur le fait qu'il n'existait pas d'espace en tant que tel, qu'il n'était qu'une construction. Et puis, dans la troisième partie, dans le chapitre consacré à la cosmogonie, vous dites que le Germe est à l'origine de l'espace euclidien tridimensionnel. N'y a-t-il pas contradiction ?

R : Il est exact que l'espace tel que nous le concevons d'ordinaire n'existe pas, que tout l'univers, tous les univers, sont contenus dans un point sans dimension. Comprenez bien que ce Point n'est pas un point dans un espace, il est tout, il EST simplement. Partant, lorsque nous évoquons l'espace euclidien tridimensionnel dans lequel nous baignons, nous devrions pour être tout à fait précis parler de représentation de l'espace. Autrement dit, si l'espace n'existe pas, la représentation de l'espace, elle, existe, et permet de rendre compte de tous les phénomènes exhibant des propriétés qualifiées de spatiales.

C'est un peu compliqué, aussi mieux vaut prendre un exemple. Considérons une droite munie d'une origine et d'une mesure (c'est-à-dire d'une unité de longueur). C'est un espace euclidien unidimensionnel. Sur cette droite, donnons-nous un certain nombre de points, comme indiqué sur la figure 19.

Figure 19 : représentation d'un espace unidimensionnel

Il est parfaitement équivalent de se donner les points sur la droite, ou de dire que A, B, et C sont situés dans le même espace euclidien unidimensionnel avec pour coordonnées respectives -2, +1, et +3 (la coordonnée d'un point est ici sa distance à l'origine, affectée du signe + ou - selon qu'il se situe à droite ou à gauche). Autrement dit, nous pouvons parfaitement remplacer une représentation géométrique de l'espace par une représentation algébrique, c'est-à-dire faite de nombres. L'espace perd alors sa caractéristique d'étendue pour devenir une pure abstraction. Le raisonnement que nous venons de tenir se prolonge sans difficulté aux espaces de dimension quelconque, qu'ils soient d'ailleurs euclidiens ou non. Par conséquent, pour rendre compte de toutes les propriétés spatiales que nous observons, il n'est pas besoin d'un espace " étendu ", seulement d'une représentation de cet espace.

Vous avez une illustration encore plus frappante de cette notion avec les jeux vidéo. La mémoire de l'ordinateur ne contient que des séries de 0 et de 1, ou même, pour être plus précis, des représentations de ces nombres sous forme de charges électriques piégées dans des assemblages de matériaux semi-conducteurs. Le microprocesseur effectue des calculs sur ces nombres, qui aboutissent à la visualisation sur un écran du vol d'un avion par exemple. L'espace dans lequel vole cet avion n'existe pas réellement. Il est une pure abstraction issue de calculs effectués par l'ordinateur. Pourtant, tout se passe comme s'il était réel, car si vous vous mettez en piqué, votre avion finit par s'écraser !

Notre espace euclidien tridimensionnel n'a pas plus d'étendue que celui que manipule l'ordinateur. Les êtres de notre univers, du Minéral à l'Homme, en ont seulement une représentation, sous une forme que nous ignorons, mais qui donne au bout du compte les mêmes effets que s'il existait réellement. Kant n'avait donc pas tort de faire de l'espace une des catégories a priori de l'entendement. Pour être complet, ajoutons que cette façon de voir permet tout ce que permet un espace étendu, et qu'elle rend en plus possible d'autres phénomènes, incompatibles avec un strict cadre euclidien, comme le paradoxe EPR de la physique quantique décrit au premier chapitre.




Q : Qu'apporte votre théorie ?

R : La Weid est avant tout une métaphysique, c'est-à-dire qu'elle fixe la limite au-delà de laquelle nos connaissances ne peuvent aller. Mais, et c'est là un point capital, cette métaphysique n'a pas été formulée pour être un simple divertissement intellectuel sans conséquences pratiques. D'emblée, nous l'avons pensée comme la base d'une nouvelle science, une science qui évidemment préserverait les acquis de celle d'aujourd'hui et permettrait d'aller plus loin. Comme nous avons commencé à le faire, nous devrions pouvoir repenser la physique, repenser la biologie, repenser la psychologie, l'évolution, mais encore l'écologie, l'économie, la politique, la morale, etc. Cela prendra sans doute du temps. Mais le jeu en vaut la chandelle, car c'est toute notre existence, et même celle de notre civilisation, qui se trouvent aujourd'hui devant la nécessité de changer au vu des difficultés de toutes sortes qui s'amoncellent partout sur la planète, et que les recettes classiques s'avèrent incapables de résoudre. Nous devons et nous pouvons nous y préparer.

Pour ce faire, la Weid présente un autre intérêt majeur qui est d'être une vision extrêmement ouverte. Comme elle n'impose presque aucune contrainte à la réalité, elle n'interdit pratiquement aucun phénomène. Par là, elle nous met en position d'ouverture devant tout ce qui est susceptible de se produire dans le monde. Au lieu de nous crisper et de nous bloquer en pensant de quelque chose " c'est impossible " parce que ça contredit notre vision du monde, par exemple " l'homéopathie ne peut pas marcher " ou bien " la télépathie n'existe pas ", nous restons ouverts aux mystères du monde, à ses surprises, ses nouveautés. Mais attention, cette attitude d'ouverture ne doit pas être confondue avec de la naïveté et de la crédulité. Penser a priori d'un certain phénomène qu'il n'est pas impossible, ce n'est pas être assuré qu'il existe. La raison a encore son mot à dire, tant dans la critique, pour établir fermement les preuves de son existence, que dans la logique, pour en rechercher les causes.

Avec une vision du monde limitée, comme en ont la plupart des hommes aujourd'hui, tout phénomène sortant un tant soit peu de l'ordinaire est cause de grands tracas. De deux choses l'une : ou bien nous gardons intactes nos croyances en refusant le phénomène (car comme dit l'adage " il n'est de pire sourd celui qui ne veut entendre "), ou bien nous l'acceptons et sommes alors contraints à une remise en cause radicale de nos conceptions. Avec une vision comme la Weid, ce dilemme n'a plus de raison d'être. Si un phénomène nouveau se manifeste, nous pouvons l'accepter sans avoir à remettre en cause la vision puisque celle-ci n'a pas de limites. Précisons bien que cette acceptation ne signifie pas que nous ayons une explication du phénomène. Nous savons seulement qu'il n'est pas impossible. Mais s'agissant de remonter le fil des causes et des effets qui le produisent, c'est un tout autre travail, qui demande souvent de grands efforts : " mille fois sur le métier remettez votre ouvrage… " Ces inévitables tâtonnements lors de la recherche d'explications ne sont nullement gênants quand les fondations restent fermement assurées.

Un dernier point. En constatant qu'avec la Weid rien n'est impossible, nous ne réintroduisons pas subrepticement un dieu omnipotent. C'est au contraire l'homme qui se retrouve projeté au centre de la scène, un homme désormais capable d'agir par lui-même en pleine connaissance de cause. Le prix à payer pour cette autonomie est l'obligation d'assumer toute la responsabilité de ses actes, sans plus d'échappatoires infantiles. Finit donc les " c'est la faute à pas-de-chance " ! Bien sûr, il garde la liberté de refuser en bloc la connaissance et la responsabilité qui va avec. Mais alors il restera tel une marionnette qui ne sait rien de ce qu'elle est, et encore moins de ce qui tire les ficelles. Il continuera d'être agité de ces soubresauts compulsifs dont il n'a pas la maîtrise. Le monde lui poursuivra sa course, parce que rien n'arrête le tricotage des eidos.




Q : Peut-on avoir des preuves de la véracité de la Weid ?

R : Si l'on entend par vérité l'idée qu'il s'agit de l'explication définitive de tout, alors clairement la réponse est non. Les raisons en sont profondes, et principalement de nature épistémologique.

Tout d'abord, il faut bien avoir à l'esprit que nous-mêmes qui essayons de connaître le monde sommes toujours dans le monde. Nous ne pouvons le contempler de l'extérieur dans sa totalité, de même que du lieu où vous vous trouvez en ce moment même, vous ne pouvez voir la Terre en entier. Pour ce faire il faudrait vous en extraire, et la regarder depuis l'espace. Mais s'agissant du monde lui-même, c'est évidemment impossible. Donc vous ne saurez jamais où se situent ses limites. Il est donc plus que probable qu'une immense partie demeure totalement cachée à notre vue. Par conséquent, quelque explication que nous donnions sur le monde, elle ne saurait être totale.

Par ailleurs, nous savons que ce que nous, humains, appelons connaissance n'est qu'un masque que nous plaquons sur le réel. La seule vérité est la réalité elle-même, pas les masques que nous mettons dessus. La vérité de votre existence par exemple est uniquement et entièrement dans le fait que vous existiez, et pas dans l'idée que vous vous faites de cette existence. D'ailleurs, lorsque vous étiez enfant, vous n'aviez pas encore cette conscience d'exister, et pourtant nul doute que vous existiez ! Puisque nos connaissances ne s'identifient pas à la réalité, alors elles ne sauraient être définitives.

Q : Faut-il en conclure que nos efforts pour construire des connaissances vraies sont vains ?

R : Non, mais il nous faut reconsidérer nos critères de vérité. Si nous ne pouvons atteindre La Vérité, nous pouvons en revanche construire des modèles de la réalité qui seront des vérités utiles en tant qu'ils obéiront à la nécessité, et qu'ils seront cohérents et efficaces.

Obéir à la nécessité signifie pour nous que ces modèles doivent être compatibles avec tous les faits connus à ce jour. Comme nous l'avons déjà dit plus haut, cela ne signifie pas être en mesure de tous les expliquer, mais seulement constater que leur existence n'est pas interdite par le modèle.

Les deux autres critères de cohérence et d'efficacité se comprennent aisément. La cohérence signifie que les conséquences découlant du modèle ne doivent pas entrer en contradiction avec les prémices ayant servi à le construire. Quant à l'efficacité, elle signifie que les conséquences du modèle sont compatibles avec les phénomènes qu'il permet d'observer.

Il est facile de vérifier que la Weid obéit à ces trois critères de nécessité, de cohérence, et d'efficacité, ce qui fait d'elle une vérité utile à défaut d'être totale et définitive.

Q : Sur quoi s'appuyer alors s'il n'y a pas de vérité absolue ?

R : Au risque de choquer, la réponse est simple, sur la foi, car elle est au coeur même de chacune de nos décision. Les choix sont déterminés d'une part par les connaissances que nous avons des événements passés, connaissances qui sont toujours partielles et biaisées étant donnée que notre compréhension des choses est limitée. Ils sont déterminés d'autre part par nos désirs de voir le futur se réaliser dans telle direction plutôt que telle autre. Comme il n'existe pas de vérité absolue, devient vérité ce que nous choisissons, ce qui fait que tous nos actes sont obligatoirement des actes de foi. L'acte de foi est donc une rencontre au moment présent entre connaissance du passé et désir du futur. Il est le moteur de la création humaine, voire de toute la création. Il est la manifestation en l'homme du Principe Directeur, car à l'extrême, en effectuant le moindre acte, nous voulons croire au moins que le monde va continuer d'exister. Il nous est donc structurellement impossible de nous passer de la foi. Il faut l'admettre, c'est la première étape. La seconde est d'apprendre à choisir consciemment. Cette foi n'a donc plus rien à voir avec une croyance toute faite acceptée par consensus. Ce n'est pas non plus une foi d'enfant qui colle à des images. Ce n'est pas une foi de malade qui a peur de la mort. C'est un acte réfléchi, d'homme libre et adulte. C'est une foi complète qui allie le meilleur cheminement logique de notre raison, et ce qui la guide, c'est-à-dire notre intuition profonde, enfant du Principe Directeur. En écrivant ce livre, et plus particulièrement ces lignes, nous faisons nous aussi un acte de foi ! Nous voulons croire en l'homme, c'est-à-dire en sa capacité à atteindre la sagesse et l'amour !




Q : Y a-t-il une morale découlant de la Weid ?

R : Bien sûr, mais c'est à chacun de la découvrir en fonction de sa propre mesure et de sa place dans le monde. Nous pouvons seulement dire que nous nous trouvons chacun sur une échelle de Jacob qui nous est personnelle. Il faut savoir que cette échelle ne repose sur rien, ou, ce qui revient au même, sur l'éternité sans fond. Il n'y a pas non plus de sommet à l'échelle. Debout sur le dernier barreau, si nous avions le courage de garder les yeux ouverts, nous nous apercevrions aussi qu'il n'y a que du vide, que la seule chose qui existe c'est l'échelle. Il faut savoir aussi que nous ne sommes rien d'autre que cette échelle, enfants de l'échelle. Nous sommes condamnés aujourd'hui à construire nous-mêmes de nouveaux barreaux pour pouvoir monter plus haut. Bien sûr, on peut s'attarder longtemps sur un échelon, et même en redescendre plusieurs. Dans ce domaine le temps n'a guère d'importance, sauf évidemment pour chacun d'entre nous en tant qu'individus.

Ceci dit, il faut ajouter que, parce qu'il n'y a pas de système isolé, que tout est lié, les échelles de chacun sont liées à celles des autres. Tous les eidos qui existent dans l'univers peuvent donc nous aider à construire nos propres barreaux. Les autres êtres de la planète bien sûr, mais aussi des notions comme l'argent, le pouvoir, la réussite, la pauvreté, la solitude, la souffrance, Dieu, l'amour, etc. Ce ne sont que des outils entre les mains de l'homme, des outils neutres qui prennent les couleurs que nous leur donnons. Donner et recevoir représentent d'ailleurs une traduction en terme moraux du mécanisme weidique qui est changement, circulation, mouvement. C'est pour cela aussi qu'il ne peut y avoir de morale figée une fois pour toute. La morale weidique est un exercice subtil d'homme adulte qui se rejoue à chaque instant du présent éternel. L'exercice est d'autant plus subtil que, comme nous le savons bien, les événements acquièrent des significations différentes selon le niveau d'où ils sont regardés. Par exemple la mort d'une cellule est très certainement pour elle un drame. Mais à notre niveau, cette mort signifie la régénération de notre organisme. De même la mort d'un homme est généralement un drame sur son plan à lui. Il est probable qu'à d'autres niveaux elle représente autre chose.




Q : Une voyante m'a fait à plusieurs reprises des prédictions qui se sont réalisées. Comment expliquer que l'on puisse voir dans le futur alors que vous dites qu'il n'existe que du présent ?

R : Au fond que fait une voyante ? Le nom même nous le dit : elle voit. Elle ne réfléchit pas, elle ne raisonne pas, elle voit tout simplement des réalités non-ordinaires. Et ces réalités, ce sont vos eidos, qui existent en ce moment même. Elle rentre en résonance avec vous, et elle raconte ce qu'elle voit dans votre conscient, et surtout dans votre inconscient qui est bien plus vaste, sans limites. Maintenant, pour comprendre le détail de ce qui se passe, nous devons distinguer plusieurs cas.

Premier cas : il y a seulement lecture de votre état d'esprit du moment. Par exemple vous consultez une voyante pour savoir si votre enfant va réussir son examen. Il vient de récolter quelques mauvaises notes et vous n'êtes pas très optimiste. C'est cet état d'esprit que va lire dans ce cas la voyante. Elle vous dira donc que votre enfant va échouer. Si vous retournez la voir quelques semaines plus tard et qu'entre-temps votre enfant a eu de meilleures notes, vous serez plus optimiste, et la voyante pourra annoncer sa réussite à l'examen !

Il y a une autre raison qui nous interdit de parler de prédiction dans un tel cas. C'est le fait que ces annonces sont souvent la cause de ce qu'elles annoncent ! En clair cela signifie que si vous êtes persuadée que votre enfant va rater son examen, il le sentira d'une manière ou d'une autre dans vos propos et dans vos attitudes, il se mettra lui-même à douter, et finalement il sera dans des conditions qui risquent fort de provoquer son échec. Inversement, si vous êtes persuadée qu'il va réussir, votre optimisme sera contagieux, il se sentira en confiance, et il augmentera ainsi ses chances de succès. Autrement dit, la prédiction se sera réalisée non parce qu'elle était vraie, au sens où il se serait agi d'une lecture du futur, mais parce que vous y avez cru et que vous avez laissé vos actes être guidés par elle, plus ou moins consciemment. Bien sûr, vous gardez la liberté de ne pas croire en ce qui vous est annoncé, et même faire en sorte que l'inverse se réalise, comme par exemple travailler dur et réussir à un examen bien qu'on vous en ait prédit l'échec.

Dans le deuxième cas que nous avons à considérer, nous n'avons pas affaire là encore à une véritable prédiction mais plutôt à ce que nous pourrions considérer comme de la réminiscence. Cela a un rapport avec la réincarnation. Vous savez qu'une âme ancienne programme généralement les grands événements de l'existence d'une âme neuve à laquelle elle se lie : naissance, mort, rencontres importantes, mariage, enfants, etc. Puisqu'ils sont déterminés à l'avance, ces événements sont " quelque part " dans votre inconscient, où une voyante peut éventuellement accéder. Elle pourra ainsi vous annoncer par exemple une rencontre et un mariage avec telle personne dans telles circonstances. Dans ce cas, la voyante n'aura pas vu le futur, seulement les étapes d'un plan qui est en train de se dérouler. Ces prophéties sont parfois très surprenantes. Mais par-delà le choc initial, la part de vous-même qui sait déjà tout cela aide à accepter ce qui est annoncé.

Le troisième cas que nous allons envisager est encore différent, et il met en jeu la causalité qui gouverne certains phénomènes. Exemple extrême : si vous dites d'une personne " elle va mourir ", ce ne sera pas une bien grande prédiction, car il est dans la nature de tous les êtres humains de mourir un jour ! Plus généralement, il y a des événements qui lorsqu'ils se déclenchent ont une issue quasi-inéluctable de par le rigoureux enchaînement de causes et d'effets qui s'ensuit. Lorsque nous essayons de faire de la prospective, c'est cet enchaînement que notre raison essaie d'entrevoir. Il faut avouer qu'elle a bien peu de réussites à son actif, principalement parce que les causes et les effets s'enchaînent sur de multiples plans à la fois, auxquels, à l'heure actuelle, nous avons difficilement accès (cf. par exemple les études faites dans les années 70 sur la vie autour de l'an 2000, aujourd'hui bien risibles). Mais il peut arriver, dans des cas somme toute assez rares, que des personnes soient en mesure d'entrevoir la logique globale qui gouverne certains événements, et fassent des prédictions sensées quant à leur issue.

Ce qui ressort de toute cette discussion, c'est que lorsqu'on dit voir le futur, on ne voit en fait pas autre chose que le présent.

Q : Dans ce cas les prédictions ont-elles encore une utilité ?

R : Dans l'absolu nous dirions que oui, car elles aideraient chacun, particulièrement dans les moments difficiles, à reprendre contact avec son être profond, et faciliteraient l'accomplissement de sa tâche sur Terre. Mais en pratique, on se heurte à d'importantes difficultés : comment savoir si ce qui est dit manifeste un réel don de voyance et n'est pas du charlatanisme ? comment ne pas tomber dans le piège consistant à forcer la réalisation des prédictions ? comment faire la part entre ce qui vient de la projection de nos désirs superficiels, influencés par la mode, les médias, etc, et ce qui vient de notre être profond ? Cette accumulation de difficultés fait que le sens d'une prédiction n'est pleinement compréhensible qu'une fois l'événement passé, qu'elle se soit réalisée ou non. Cela réduit considérablement sa portée, et ne sert finalement qu'à confirmer a posteriori qu'on est sur la bonne voie.




Q : Que pensez-vous de la synchronicité ?

R : La synchronicité est un terme inventé par Jung pour désigner les énigmatiques coïncidences que chacun de nous a pu observer à un moment ou à un autre de sa vie et qui font sens, en nous laissant une impression troublante. Différentes hypothèses ont été évoquées pour expliquer ce phénomène (voir l'ouvrage de Jean Moisset, Enigmatiques coïncidences et unité du monde, éditions Présence, 1993). Pour nous, la synchronicité peut s'expliquer par des interférences entre les différents plans de conscience qui constituent notre agrégat. Chacun possède sa propre logique, ses enchaînements de causes et d'effets. Mais notre conscience n'a accès qu'à la logique du consensus, celui de la réalité ordinaire. C'est donc le caractère partiel de notre vision de la réalité qui nous conduit à voir des coïncidences sans voir les causes qui sont derrière. Mais quelque chose en nous sait, puisque ces expériences font généralement sens.




Q : Quel rapport y a-t-il entre les idées, qui sont des eidos, et les mots qui sont aussi des eidos ?

R : Disons tout d'abord qu'antérieurement aux idées, il y a les pensées, dont les premières en sont l'expression. Nous préférons même parler de " bulles de pensées ", parce que c'est ainsi qu'elles se présentent à notre conscience, comme des totalités qui font sens. Ces bulles, qui proviennent de l'astral, sont donc là avant que nous mettions des mots dessus, les transformant ainsi en idées. Cela se vérifie aisément lorsqu'on est dans un état de relaxation où l'on se contente de regarder passer les pensées sans faire intervenir sa raison. Si l'on ne cherche pas à décortiquer, à mettre en mots les pensées, alors on les voit clairement et distinctement comme des bulles de sens. Voilà qui devrait clore le débat qui agite les linguistes depuis longtemps, à savoir qui de la pensée ou du langage est premier. Pour nous c'est clair, la pensée est première, et le langage se rajoute par-dessus. Un argument supplémentaire nous en est donné par la constatation que nous avons fréquemment des pensées claires que nous sommes incapables d'exprimer. Dans les domaines philosophique ou scientifique par exemple, il est fréquent d'entrevoir un concept radicalement nouveau en un bref flash d'intuition, pour ensuite s'escrimer une vie durant à lui donner corps avec des mots. Sans aller si loin, nous pouvons aussi observer chez de jeunes enfants qui n'ont pas encore la maîtrise du langage comment il essaient maladroitement d'exprimer des choses qui semblent tout à fait claires dans leur tête.

Le problème avec ces pensées, ces bulles de sens, c'est d'une part qu'elles sont très évanescentes, et d'autre part qu'elles ne sont pas communicables. Le langage est une réponse à ces difficultés. Car la mise en mots des pensées permet en quelque sorte de les figer, ce qui les rend plus facilement transmissibles, à autrui bien sûr mais aussi à soi-même (nous nous parlons continuellement à nous-mêmes).

Ce qu'on gagne d'un côté, on le perd évidemment d'un autre. Il se produit au cours de la transformation d'une pensée en une idée ce qu'on pourrait appeler une perte de " densité de sens ", parce que ce qui ne formait initialement qu'un eidos s'est dilué en plusieurs eidos, à savoir les différents mots qui expriment l'idée. L'idéal d'un bonne formulation est qu'à partir de cet ensemble de mots, d'eidos, on soit en mesure de construire un sens global qui est justement le sens de la première bulle de pensée. Les sempiternelles difficultés de communication prouvent que ce n'est pas toujours le cas. Malgré tout, cela fonctionne. Ce livre en est nous l'espérons une preuve ! Nous n'avons de toute manière pas d'autre choix pour vous communiquer nos bulles de pensées. Un jour peut-être les hommes sauront-ils partager leurs bulles de pensées, consciemment du moins car qu'ils le veuillent ou non ils les partagent dans une certaine mesure à un niveau inconscient, ce qui signera la fin de le Babel actuelle. Mais sera-t-il encore homme ? En attendant, il reste un incorrigible bavard, se contentant la plupart du temps de faire du vent pour ne rien dire. Nul doute que la plupart de ces mots prononcés ou écrits sont de la pollution astrale. Non qu'il faille devenir trappiste ! Mais un minimum de contrôle de la part de chacun sur les paroles qu'il profère, et surtout sur ses pensées, ne serait pas nuisible, loin de là. Il serait peut-être temps de retrouver la dimension sacrée du Verbe.



Q : Quel lien existe entre ce que nous appelons la matière et ce que nous appelons l'esprit ?

R : Matière et esprit ne sont rien d'autres que des eidos. C'est la manière dont nous les percevons qui changent. Dans notre conscience, le lien existe, mais il est malheureusement très difficile à traduire en mots, car l'expérience de ce lien est fulgurante, globale, à la fois si simple et si intraduisible. C'est comme un enchaînement logique de sens qui regroupent tous les archétypes de l'humanité, comme si chaque interprétation du réel résonnait avec toutes les autres en cascade. C'est comme si l'espace d'une seconde, vous pouviez apercevoir d'une manière verticale tous les plans de conscience qui normalement se chevauchent d'une manière causale, logique, sur un plan horizontal de conscience. Un trou de vers dans un millefeuilles de sens…Vous voyez, nous sommes à peine capables d'effleurer le sujet !




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