enregistrer le saxophone soprano

Vahé Zartarian

décembre 2017


 

J’ai toujours trouvé le saxophone soprano difficile à enregistrer, c’est-à-dire avec un rendu naturel sans agressivité dans les aigus. J’ai essayé différents micros de différents types dans diverses configurations sans trouver jusqu’ici satisfaction. Certes je reconnais mes limites: mes oreilles pas plus que mes talents d'instrumentiste ne sont parfaits, je ne suis pas ingénieur du son, et je n’ai jamais eu l’opportunité de tester du matériel haut de gamme. Ceci dit je reste persuadé qu’il doit être possible de capter correctement un saxophone soprano droit:
- avec un seul microphone (qui convienne aussi au ténor)
- avec un budget limité
- sans complications, comme un long travail de post-production, ou une longue chaîne d’appareils de traitement du signal (préampli de haute qualité, filtres, compresseur, égaliseur, voire de-esser).

D’où vient le problème? D’abord de l’instrument lui-même: une partie du son rayonne par le bocal vers le bas, une autre partie vers le haut par les trous. D’où cette recommandation fréquente: un soprano droit serait mieux capter avec deux micros, l’un au droit des clés, l’autre dans le prolongement du bocal. Pour avoir fait quelques essais dans ce sens, je ne suis pas convaincu. D’une part, il y a le risque de rajouter de l’agressivité sachant qu’une partie des aigus file le long du tube pour sortir par le bocal. D’autre part, le son rayonné vers le bas n’est pas perdu: il se réfléchit et est d’une manière ou d’une autre repris par le micro situé au-dessus des clés. La preuve: un micro placé dessus capte très bien le sib grave correspondant à toutes les clés fermées.

Un autre problème tient aussi à l’instrument. Pour comprendre pourquoi l’aigu du soprano peut être problématique, je me suis livré à une analyse spectrale de quelques notes. Par exemple le ré aigu:

Il en ressort que:
- il n’y a pas grand chose au-delà de 10kHz
- l'essentiel se passe entre 1 et 8kHz (pour information, la fondamentale du ré aigu est proche de 1000Hz).
L'accumulation de partiels en plein dans la zone de sensibilité maximale de l’oreille conduit à considérer comme critique l'étendue entre 2 et 6kHz. Encore convient-il de préciser que la situation est ici relativement sous contrôle avec l'emploi d'un bec Lebayle Jazz. Mais d'autres becs caractérisés par leur brillance peuvent franchement irriter l'oreille.

Ce problème déjà notable en direct, et qui contribue sans doute à ce que certains n'aiment pas le soprano, est ensuite largement amplifié par les prises de son. On le comprend facilement en examinant les courbes de réponse en fréquence de trois micros devenus des classiques pour le saxophone, tant sur scène qu’en studio:

Shure SM-57


Sennheiser MD-421

Electrovoics EV-20


Enfin il y a un problème plus général tenant à l'acoustique. Il faut savoir que les fréquences aigues s'atténuent plus vite avec la distance que les fréquences graves.Par conséquent, un auditeur moyen se tenant à quelques mètres d'un musicien ne va pas entendre la même chose que celui-ci, ni qu'un micro prenant le son à quelques centimètres de l'instrument. Autrement dit, toute prise de son de proximité a tendance à faire ressortir les aigus par rapport à une situation d'écoute réelle. Et là encore le problème est amplifié par des micros à l'aigu remontant.

En fait presque tous les micros, quel que soit leur type, présentent des remontées semblables dans l’aigu. On peut se demander pourquoi. Les raisons en sont diverses et j’en donne quelques unes ci-après. S’il est des cas où de telles remontées sont bénéfiques (comme l’intelligibilité d’une voix au milieu d’autres sons), il en est d’autres où elle est nuisible. Ce qui marche avec les saxophones ténor et alto devient problématique avec le soprano.
J’ai alors cherché dans un budget raisonnable (250€ maximum) quels micros cardioïdes présentaient une courbe de réponse satisfaisante. Deux ont particulièrement attiré mon attention:

Oktava MK-101

Lauten LA-220

Il va de soi que la seule courbe de fréquence n’est pas suffisante pour juger de l’adéquation d'un micro aux besoins. J’ai finalement choisi le Lauten parce qu’il intègre des filtres, contrairement à l’Oktava: un coupe-bas à 120Hz utile pour éliminer les résonances de salle et autres ronflements, et, chose particulièrement rare, un coupe-haut à 12kHz utile pour nettoyer les bruits parasites dans le haut du spectre. Quant à la distorsion harmonique, la réponse aux transitoires, et autres joyeusetés qui participent de la qualité d’un micro, seule l’expérience pourra dire. Sachant qu’il n’est pas possible de tout essayer, il faut bien se décider.

Les premiers essais se révèlent satisfaisants, tant au soprano qu’au ténor: un son transparent et sans agressivité. Ma compagne Corinne à qui je les ai fait écouter ajoute que cela sonne naturel, ce dont en tant qu’instrumentiste je ne puis juger: soufflant dans l’instrument, je ne l’entends jamais comme l’entend un auditeur.

Remarquons en passant qu’il est rare que l’on sache comment sonnent pour de vrai les musiciens que l’on aime. La plupart du temps on ne les connaît qu’à travers des enregistrements. Et quand on a la chance d’assister à un concert, c’est presque toujours à travers un système de sonorisation, sans compter que notre saxophoniste préféré joue au milieu d’autres musiciens...

Pour en revenir au Lauten LA-220, j'ai enregistré quelques échantillons:
- l'adagio du concerto pour hautbois de Marcello est bien approprié pour mettre en avant le second registre du soprano, et même plus particulièrement le haut de ce second registre;
- les deux autres pièces exigent davantage d'acrobaties pour couvrir une grande étendue, de do# grave à sol aigu pour l'une, et de si grave à fa aigu pour l'autre: ces deux pièces sont ensuite reprises au ténor;
- il s'agit des captations brutes, sans aucun traitement, ni dans la chaîne du signal ni après-coup;
- il va de soi que les écouter sur un ordinateur portable voire un smartphone ne permettra pas de bien juger.

sop_marcello.mp3

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saxophone soprano
adagio du concerto pour hautbois de Marcello
sop_motian.mp3 

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 saxophone soprano
d'après Paul Motian, folk song for rosie

sop_jarrett.mp3 

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 saxophone soprano
d'après Keith Jarret, rotation

tenor_motian.mp3 

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 saxophone ténor
d'après Paul Motian, folk song for rosie

tenor_jarrett.mp3

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 saxophone ténor
d'après Keith Jarret, rotation


détails techniques

soprano Selmer mark VI, bec Lebayle Jazz 7, ligature Rovner Versa, anche Vandoren Java Rouge 2,5
micro protégé sur l'arrière et les côtés par un écran acoustique, dirigé sur l’annulaire droit à environ 30cm, branché sur l’entrée mic (niveau 11h) du loop-station Boss RC-50 qui sert d’enregistreur, monitoring au casque Audio-Technica ATH-TAD300

ténor Aizen, bec métal Lebayle LRII 7*, ligature GF maxima, anche Vandoren Java Rouge 2
micro pointant sur le petit doigt main gauche à environ 35cm, branché sur l’entrée mic (niveau 10h30) du loop-station Boss RC-50




annexe: des pics dans l’aigu des micros


Les raisons de la présence quasi systématique de pics dans l’aigu sont diverses, certaines si lointaines qu’un retour en arrière semble difficile (tout comme il est devenu impossible d’abandonner le clavier azerty pourtant pas ergonomique du tout).
Du temps de l’enregistrement sur bande, les choses étaient très différentes:
- les magnétophones avaient des faiblesses reconnues dans l’aigu,
- amplifiées par le phénomène d’auto-effacement des hautes fréquences.
Un des raisons sans doute du caractère ‘chaud’ d’anciens enregistrements sur bande. Bref, en ce temps-là, une remontée dans l’aigu du micro pouvait s’avérer carrément bénéfique.

Le passage de l’analogique au digital ne s’est pas traduit par une mise au rebut de tous les micros. On n’a pas cherché non plus à rendre leurs courbes de réponse plus plates parce que beaucoup de musiciens y trouvaient leur compte. A commencer par les chanteurs: ces pics dans l’aigu dit de ‘présence’ dans la zone 3-10kHz permettent de rendre une voix plus intelligible dans un mix. Mais ce n’est pas sans poser de nouveaux problèmes:
- hors de ce contexte, la voix ne sonne plus naturelle du tout;
- ces pics accroissent la sibilance, d’où l’invention d’appareils appelés de-esser pour l’atténuer;
- en live, ils augmentent aussi le risque de larsen (d'où des anti-larsen!);
- comme presque tous les micros sont ainsi faits, il se produit une fuite en avant, chacun cherchant à se faire entendre par-dessus les autres.
Cette surabondance d’aigus associée à des niveaux d’écoute élevés finit par rendre l’oreille impotente. Au bout du compte, ces déformations du son n’ont plus guère d’importances quand on n’entend plus rien. Sauf pour ceux qui n’ont pas les oreilles complètement défoncées.

Autre raison à la présence de pics dans l’aigu de la plupart des micros: en tant que systèmes mécaniques vibrants, les membranes présentent des fréquences de résonance propres. Pour les micros à ruban c’est plutôt dans le grave (d’où un son empâté quand ils ne sont pas de bonne qualité). Pour les dynamiques c’est en général dans le haut médium et le bas de l’aigu (disons 2-6kHz pour fixer les idées). Et carrément dans l’aigu pour les micros à condensateur. Des conceptions soignées permettent d’atténuer ces défauts, mais jusqu'à un certain point seulement et cela a un coût.

La course aux bas coûts est d’ailleurs à l’origine d’un autre problème. Certes elle a contribué à la démocratisation de la musique en home-studio, mais pas forcément à l’amélioration du son. L’histoire du micro à condensateur est à ce titre exemplaire (les informations suivantes sont pour l’essentiel tirées de cet article bien documenté: Why Many Condenser Mics Are Too Bright and Sibilant? )
Le micro à condensateur a été inventé par Neumann pour la radio. Le rapport signal-bruit était alors si faible (24dB) que les ingénieurs ont cherché des moyens de rendre la parole plus intelligible. Une solution était d’augmenter le niveau des aigus à la captation, pour la diminuer plus tard afin de retrouver une courbe de réponse plate (le fameux Dolby NR des magnétophone à cassette utilisera plus tard le même principe).
Arrivent les plus célèbres des micros, les U67 et U87 de Neumann. Leur capsule intègre un boost des aigus, lequel est ensuite corrigé par l’électronique du micro.
Via leurs camarades d’Allemagne de l’est, les chinois se sont dès les années 50 emparés de la technologie des micros à condensateur pour en faire d’excellentes imitations.
De son côté, une autre firme allemande, Schoeps, invente un circuit électronique moins cher à produire. Sa courbe de réponse est plate parce qu’il a été conçu pour s’associer à des capsules sans pics prononcés dans l’aigu.
Quand des firmes occidentales ont commencé à sous-traiter en Chine la production de micros à condensateur, c'était pour copier les Neumann, et ils ont évidemment exigé des fournisseurs des prix aussi bas que possible. D’où, pour aller au plus simple, l’invention d’hybrides avec des capsules imitant les Neumann à l’aigu remontant, associées à des circuits s’inspirant des Schoeps. Résultat: une foule de produits avec des aigus irritants! Et pour vendre davantage, on évite de s’attaquer aux causes du problème et on invente des solutions coûteuses et inappropriées: cf. cette mode stupide des micros à tube et des préampli à tube censés redonner la chaleur perdue, perte dont est accusée à tort la numérisation. Nulle surprise si chemin faisant le son a perdu beaucoup de son authenticité!

Tout ça n'empêche pas ce Lauten La-220 qui me donne satisfaction d'être fabriqué en Chine...




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